Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/198

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comme un être d’un autre monde. Tout à coup de grands coups de tonnerre se firent entendre, et les ombres rentrèrent précipitamment dans leurs demeures sépulcrales ; mais de temps en temps il apercevait encore des figures blêmes, des yeux livides qui se montraient soudainement comme s’ils savaient qu’ils avaient le pouvoir de glacer d’effroi les vivants. Peu à peu les visions devinrent plus distinctes et l’état du rêveur plus pénible ; il lui semblait qu’un pied énorme pesait sur sa poitrine ; il faisait des efforts surnaturels pour le soulever. Enfin ses sens rompirent les entraves qui les retenaient, et il s’éveilla couvert d’une sueur froide.

L’air du matin commençait à se faire sentir au travers de ses rideaux à demi ouverts, et les premiers rayons du jour doraient les clochers de la ville. Lionel santa à bas de son lit, et il avait déjà fait plusieurs fois le tour de sa chambre dans le vain espoir de chasser les images importunes qui l’avaient harcelé pendant son sommeil, lorsqu’un bruit sourd et prolongé, que le silence de l’air rendait plus frappant encore, vint frapper trop distinctement son oreille pour qu’il pût s’y méprendre.

— Ah ! dit-il en lui-même, je ne revois donc qu’à moitié ; ce n’est donc point là le bruit d’une tempête imaginaire, mais celui du canon, qui parle clairement à l’oreille du soldat.

Il ouvrit sa fenêtre et promena ses regards autour de lui. Les décharges d’artillerie se succédaient alors rapidement, et Lionel chercha à en découvrir la cause. Il savait que Gage avait résolu d’attendre l’arrivée de ses renforts avant de frapper un coup qu’il croyait devoir être décisif, et les Américains n’étaient pas assez bien pourvus de munitions de guerre pour perdre une seule charge de poudre dans une de ces vaines attaques de nos sièges modernes. La connaissance de ces faits redoublait l’impatience qu’éprouvait le major Lincoln de pénétrer le mystère de cette alerte imprévue. Toutes les fenêtres des maisons voisines se garnirent bientôt l’une après l’autre d’habitants surpris et alarmés. De temps en temps un soldat à demi habillé ou un citoyen inquiet passait rapidement le long des rues désertes pour aller voir ce qui se passait. Des femmes effarées commencèrent à se précipiter hors des maisons ; mais en entendant les coups retentir avec dix fois plus de force encore en plein air, elles rentraient aussitôt pâles et glacées d’effroi.