Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/218

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au contraire que lui semblaient plus faibles et moins fréquentes. Au surplus, toutes les incertitudes cessèrent bientôt. Les vapeurs épaisses suspendues sur le champ de bataille s’éclaircirent en plus de cinquante endroits, et les colonnes rompues des Anglais reculèrent pour la seconde fois devant leurs ennemis intrépides, dans la plus grande confusion. En vain les officiers, l’épée à la main, les menaces et les exhortations à la bouche, faisaient-ils tous leurs efforts pour arrêter le torrent ; la plupart des régiments ne cessèrent de fuir que lorsqu’ils se virent en sûreté dans les chaloupes. Dans ce moment un bruit sourd se fit entendre dans Boston, et chacun se regardait avec un étonnement mêlé d’une joie qu’il ne cherchait pas à cacher. Un murmure de satisfaction à peine étouffé circulait de place en place, et dans presque tous les yeux respirait l’ivresse du triomphe. Jusque alors Lionel avait été partagé entre son orgueil national et son esprit militaire ; ces deux sentiments se combattaient dans son cœur ; mais enfin le dernier l’emporta, et il regarda fièrement autour de lui, comme pour voir si quelqu’un osait se féliciter de l’échec essuyé par ses camarades. Burgoyne était encore à ses côtés, se mordant les lèvres de dépit, mais Clinton avait disparu tout à coup. L’œil rapide de Lionel se promena partout jusqu’à ce qu’il l’eùt aperçu près d’entrer dans une barque au pied de la colline. Plus prompt que la pensée, Lionel en un instant fut sur le rivage, et courant au bord de l’eau, il s’écria :

— Arrêtez ! pour l’amour de Dieu, arrêtez ! Rappelez-vous que le 47e est sur le champ de bataille et que j’en suis le major.

— Recevez-le, dit Clinton avec cette satisfaction profonde qu’inspire le dévouement d’un ami dans un moment critique, et maintenant faites force de rames si vous tenez à la vie, ou, ce qui est bien plus encore, à l’honneur du nom anglais.

Lionel éprouva dans le premier moment une sorte de vertige lorsque la barque commença à s’éloigner du bord ; mais il ne tarda pas à se remettre, et put considérer la scène déplorable qui s’offrait à sa vue. Le feu s’était communiqué de maison en maison, et le village de Charlestown n’offrait plus de toutes parts que l’image d’un vaste incendie. L’air semblait rempli de boulets qui sifflaient à ses oreilles, et les flancs noirs des vaisseaux de guerre vomissaient la mort et la destruction avec une effrayante activité.