Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/243

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portait la couronne. Le bruit se répandit bientôt parmi ceux qui avaient le moyen d’être le mieux informés que le monarque prenait lui-même un vif intérêt à maintenir ce qu’il appelait sa prérogative, et son ascendant sur le corps des représentants de son empire, où il se rendait en personne.

Cette opinion ne tarda pas à se propager dans toutes les colonies ; on commença à y regarder comme des préjugés les attachements des sujets à leur prince ; on confondit, par un sentiment très-naturel, la tête et les membres, et l’on oublia que la liberté et l’égalité ne faisaient point partie du métier de prince. Le nom du monarque tomba chaque jour de plus en plus en discrédit, et les écrivains américains commençant alors à parler plus librement de sa personne et de son pouvoir, on vit paraître la première lueur de cette lumière qui annonçait la naissance des étoiles de l’ouest parmi les symboles des nations de la terre. Jusqu’alors peu de gens avaient pensé à l’indépendance, et personne n’avait osé en parler ouvertement, quoique les événements eussent préparé silencieusement les colons à cette mesure finale.

La fidélité au prince était le dernier lien qui restait à trancher : car les colonies se gouvernaient déjà elles-mêmes, dans toutes les mesures de politique intérieure et extérieure, aussi bien que pouvait le faire une nation dont les droits n’étaient pas généralement reconnus ; mais, comme le caractère honorable de George III n’admettait pas de déguisement, un éloignement mutuel et une aliénation totale furent les suites inévitables de la réaction de sentiments entre le prince et ses sujets américains[1].

Tous ces détails, accompagnés de beaucoup d’autres plus minutieux, furent racontés à la hâte par Polwarth, qui, avec ses penchants épicuriens, avait beaucoup de bon sens, d’intégrité et de bonnes intentions. Lionel se bornait à peu près à l’écouter, et l’intérêt qu’il prenait à ce récit fit qu’il ne l’interrompit que lorsque sa faiblesse et le son d’une horloge voisine l’avertirent qu’il était resté levé aussi longtemps que la prudence le lui permettait. Polwarth aida le convalescent épuisé à se remettre au lit, et, après lui avoir donné force bons avis sur le régime alimentaire

  1. Les préjugés du roi d’Angleterre étaient inévitables dans sa situation insulaire ; mais ses vertus et son intégrité appartenaient exclusivement à l’homme. On ne peut citer trop souvent ce qu’il dit à notre ministre après la conclusion de la paix : J’ai été le dernier de mon royaume à reconnaître votre indépendance, et je serai le dernier à la violer.
    (Note de l’Auteur).