Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/290

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— Non ! non ! non ! dit Cécile vivement et avec une énergie toujours croissante, ce n’étaient point là les traits insignifiants du pauvre idiot ! Savez-vous, Lionel, que, dans le profil effrayant et caractérisé qui s’est réfléchi sur le mur, j’ai trouvé une ressemblance frappante avec notre grand-oncle, celui de qui votre père a hérité du titre de baronnet, et qu’on appelait sir Lionel-le-Sombre ?

— Que n’est-on pas porté à se figurer dans de pareilles circonstances ! Mais de grâce, chère Cécile, qu’aucune triste pensée ne vienne empoisonner d’aussi doux instants.

— Suis-je triste ou superstitieuse par habitude, Lionel ? dit-elle d’une voix si tendre qu’elle pénétra le cœur de son mari. Mais cette vision s’est montrée dans un tel moment et sous une telle forme, qu’il faudrait être plus qu’une femme pour ne pas trembler de ce qu’elle me présage.

— Que pouvez-vous craindre, Cécile ? Ne sommes-nous pas mariés, unis par des nœuds irrévocables et solennels ? Cécile tressaillit, mais Lionel, voyant qu’elle ne voulait ou ne pouvait répondre, continua : — N’est-il pas hors du pouvoir de l’homme de nous séparer ? et ne sommes-nous pas unis, non seulement avec le consentement, mais même d’après le désir formel de la seule personne qui ait des droits sur nous ?

— Je crois tout ce que vous me dites, Lionel, dit Cécile en jetant autour d’elle des regards vagues et inquiets ; oui, oui, nous sommes mariés ; eh ! avec quelle ferveur j’implore celui qui voit tout et qui gouverne tout, pour qu’il bénisse notre union ! mais…

— Mais quoi, Cécile ? Est-il possible qu’un rien, qu’une ombre vous affecte à ce point ?

— C’était une ombre, comme vous dites, Lincoln ; mais où était l’homme ?

— Cécile, ma bonne, mon excellente Cécile, ne laissez pas votre esprit s’affaisser dans cette incroyable apathie. J’en appelle à votre raison, peut-il y avoir une ombre lorsque rien n’obstrue la lumière ?

— Je ne sais, je ne puis raisonner, je n’ai pas de raison. Tout est possible à celui qui n’a pour loi que sa volonté, et dont le plus léger signe de tête ébranle l’univers. Il y avait une ombre, une ombre éloquente et terrible ; mais qui peut dire où était la réalité ?

— Je serais tenté de répondre : avec les fantômes, seulement