Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/336

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— Je crois que je vous comprends, répondit Cécile, car j’ai entendu dire qu’en soupçonne ce jenne homme d’avoir pris parti avec les Américains le jour de la bataille dont vous parlez. Mais si celui qui tue dans une bataille est un assassin, qui êtes-vous donc vous autres dont la guerre est le métier ?

Elle fut interrompue par une douzaine de voix qui s’écrièrent, quoique avec respect : — Il y a bien de la différence, Milady ! Il y a se battre et se battre ! Tuer n’est pas assassiner ! — et d’autres phrases non moins inintelligibles pour Cécile, et prononcées avec l’incohérence et la vivacité naturelles aux Irlandais. Quand ce moment de tumulte fut passé, le grenadier qui avait déjà parlé se chargea de donner à Cécile l’explication dont elle avait besoin.

— Quand vous ne devriez plus prononcer un mot de votre vie, Madame, lui dit-il, vous avez dit la vérité pour cette fois, quoique ce ne soit pas tout à fait la vérité. Quand un homme est tué en combattant, — c’est que c’était son destin de l’être : aucun véritable Irlandais ne dira le contraire. Mais s’accroupir derrière un corps mort pour ajuster son semblable, c’est autre chose, et c’est ce que nous reprochons à ce misérable coquin. D’ailleurs la bataille était gagnée quand il a fait le coup, et la mort de notre capitaine n’y pouvait rien changer.

— Je ne connais pas toutes les distinctions de votre cruelle profession, dit Cécile ; mais j’ai entendu dire qu’il a péri encore bien du monde après que les troupes du roi furent entrées dans les retranchements.

— Certainement, Madame, répliqua le grenadier : vous ne vous trompez pas ; et il n’en est que plus nécessaire que quelqu’un soit puni pour ces meurtres. On ne peut dire que la bataille est gagnée, avec des gens qui se battent encore quand ils l’ont perdue.

— Je sais, dit Cécile, les lèvres et les paupières tremblantes, que bien des braves gens ont péri comme vous le dites, et je croyais que c’était le sort ordinaire de la guerre ; Mais quand même ce jeune homme serait coupable, regardez-le ! est-ce un être digne du ressentiment d’hommes qui se font un honneur de combattre leurs ennemis à armes égales ? Un coup terrible lui a été porté il y a déjà longtemps par une main plus puissante que la vôtre, qui l’a privé de la raison ; et pour combler la mesure de ses infortunes, le voilà aux prises avec une maladie terrible qui épargne rarement ceux qu’elle attaque. Et vous-mêmes, dans