Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/345

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— Non, dit l’idiot ; Ralph a fait partir Job samedi soir. Il a quitté les Américains sans avoir dîné.

— Et il s’en est dédommagé en mangeant nos provisions. Est-ce là votre honnêteté, drôle ?

— Ralph était si pressé qu’il n’a pas voulu prendre le temps de manger. Ralph est un grand guerrier, mais il a l’air de ne pas savoir combien il est doux de manger quand on a faim.

— Glouton, gourmand, ventre d’autruche, n’est-ce pas assez de m’avoir volé mes provisions, faut-il encore que vous m’en fassiez mieux sentir la perte en appuyant sur le plaisir que vous avez eu à les dévorer ?

— Si vous soupçonnez réellement mon fils d’avoir manqué à ce qu’il devait à ceux qui l’emploient, dit Abigaïl, vous ne connaissez ni son caractère ni ses principes ; je vous garantis, et je le dis dans toute l’amertume de mon cœur, qu’aucune nourriture ne lui est entrée dans la bouche depuis hier soir : n’entendez-vous pas les gémissements que lui arrache la faim ? Dieu, qui connaît les cœurs, sait que je vous dis la vérité.

— Que dites-vous, femme ? s’écria Polwarth en la regardant avec horreur ; il n’a rien mangé depuis vingt-quatre heures ! Mère dénaturée ! pourquoi n’avez-vous pas pourvu à ses besoins ? pourquoi n’a-t-il pas partagé tous les repas que vous avez faits depuis ce temps ?

Abigaïl jeta sur lui un regard qui peignait le besoin et le désespoir.

— Croyez-vous que je verrais volontairement le fils de mes entrailles périr d’inanition ? Le dernier morceau de pain que je lui ai donné hier quand il est arrivé, était tout ce qui me restait, et je le tenais de quelqu’un qui m’aurait rendu plus de justice en m’envoyant du poison.

— La vieille Nab ne sait pas que Job a trouvé un os à la porte des casernes, dit l’idiot d’une voix faible ; je doute que le roi sache combien un os est bon à ronger.

— Mais les provisions ! les provisions ! s’écria Polwarth étouffant d’impatience ; qu’avez-vous fait des provisions, jeune insensé ?

— Job les a cachées sous le tas de vieilles cordes, dit l’idiot en se soulevant pour montrer du doigt, à travers la porte qui était restée ouverte, l’endroit dont il parlait ; quand le major Lincoln