Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/354

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Il se retourna pour adresser ces mots à un domestique qui venait d’entrer, et qui, depuis quelques instants, était debout derrière lui, dans une attitude respectueuse, attendant que son maître jetât les yeux sur lui. Il répondit à la question du général à voix basse, et en se pressant comme s’il eût désiré n’être entendu que de lui, et qu’il eût senti en même temps qu’il ne lui convenait pas de parler ainsi à son maître. La plupart des voisins du général détournèrent la tête par politesse ; mais le vieux marin, qui était trop près de lui pour être tout à fait sourd, entendit les mots une dame ; et comme il avait caressé la bouteille d’un peu près, c’en fut assez pour exciter toute sa gaieté. Frappant sur la table avec la main, il s’écria avec une liberté qu’aucun autre que lui n’aurait osé se permettre :

— Une voile ! une voile ! de par saint George, une voile ! Et sous quel pavillon, l’ami ? celui du roi, ou celui des rebelles ? Il y a eu ici quelque méprise ! Le cuisinier a été en retard ou la dame s’est trop pressée. Ah ! ah ! ah ! Courage, Messieurs de l’armée de l’île, vous vous en donnez à cœur joie.

Le vieux marin était enchanté de sa découverte et encore plus de ses plaisanteries. Il jouit pourtant seul du plaisir de son triomphe, car tous les militaires gardèrent le silence, feignirent de ne pas comprendre ses allusions, et se bornèrent à échanger entre eux quelques coups d’œil malins à la dérobée. Howe se mordit les lèvres avec un dépit visible, et ordonna au domestique, d’un ton sévère, de répéter son message d’une voix plus intelligible.

— Une dame demande à voir Votre Excellence, dit le valet en tremblant, et elle vous attend dans la bibliothèque.

— Au milieu des livres ! s’écria l’amiral. Cela vous conviendrait mieux, mon ami le bel esprit. Et dites-moi, l’ami, est-ce une jeune et jolie fille ?

— À la légèreté de sa marche, Monsieur, répondit le domestique, je suis porté à la croire jeune ; mais elle avait le visage caché sous un grand capuchon de soie.

— Ah ! ah ! la demoiselle vient voilée dans la maison du roi ! Diable ! Howe, il paraît que la modestie commence à devenir une vertu rare chez vous autres de l’armée de terre !

— Le cas est clair contre vous, général, dit Burgoyne en souriant, car vous voyez que le domestique lui-même a remarqué de