Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/383

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tabac en signe d’amitié, et comme pour faire excuser la liberté qu’il prenait en se mêlant dans ses affaires domestiques, vous aviez donc un héritier du trône dans votre famille, car le prince royal vient après le roi, dit-on, et, d’après ce que vous dites, un de vos enfants du moins est un brave garçon, qui ne paraît pas disposé à vendre son héritage pour un plat de lentilles. Ne dites-vous pas que Royal sert dans notre armée ?

— Il est en ce bienheureux moment à une des batteries en face de la presqu’île. Dieu sait que c’est une chose terrible que d’être obligé de chercher à abattre les maisons de ceux qui sont du même sang et de la même religion que nous ; mais il faut que cela soit pour renverser les mauvais desseins de ceux qui voudraient vivre dans la pompe et la fainéantise au prix du travail et de la sueur de leurs semblables.

L’honnête fermier sourit du patriotisme un peu intéressé de la bonne femme, et lui dit avec un ton de gravité qui rendait sa gaieté doublement plaisante :

— Il faut espérer que Royal ne sera pas trop fatigué quand le matin arrivera. Mais que fait Prince dans un pareil moment ? Est-il resté tranquillement avec son père, comme étant trop jeune pour porter les armes ?

— Non, non, répondit-elle en secouant la tête avec un air de chagrin ; j’espère qu’il est avec notre père commun qui est dans le ciel. Et vous vous trompez bien si vous croyez qu’il n’était pas en état de porter les armes. C’était mon premier-né, et un des plus beaux jeunes gens de la province. Quand il apprit que les troupes du roi étaient venues à Lexington pour tout tuer et détruire dans le pays, il prit son mousquet et s’en alla avec les autres pour savoir de quel droit on massacrait les Américains. Il était jeune et plein d’ardeur, et il voulait être un des premiers à combattre pour les droits de son pays. La dernière fois que je reçus de ses nouvelles il était sur les hauteurs de Breeds, mais il n’en revint jamais, et l’on me renvoya les vêtements qu’il avait laissés dans le camp. C’est à un de ses bas que vous me voyez faire de nouveaux pieds pour son frère.

Elle fit cette explication avec autant de calme que de simplicité, quoique de grosses larmes qui lui tombaient des yeux roulassent sur l’humble ouvrage auquel elle travaillait.

— Et voilà comme nos plus braves enfants sont moissonnés en