Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/40

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Au milieu de cette magnificence coloniale que la présence d’un grand nombre de bougies rendait encore plus imposante, une dame, sur le déclin de la vie, était assise avec dignité sur un sofa. L’officier avait ôté son manteau dans le vestibule, et l’uniforme militaire donnait une nouvelle grâce à son maintien et à sa tournure. Le regard dur et sévère de la dame s’adoucit sensiblement dès qu’elle le vit entrer ; après s’être levée pour recevoir son hôte, elle le regarda quelque temps avec une douce surprise ; le jeune homme rompit le premier le silence en disant :

— Excusez-moi, Madame, si j’entre sans m’être fait annoncer ; mon impatience l’a emporté sur la cérémonie, tant chaque pas que je fais dans cette maison me rappelle les jours de mon enfance et la liberté dont je jouissais autrefois dans cette enceinte.

— Mon cousin Lincoln[1], interrompit la dame, qui était Mrs Lechmere ; ces yeux noirs, ce sourire, votre démarche seule vous annoncent suffisamment ; il faudrait que j’eusse oublié mon pauvre frère, et une personne qui nous est encore si chère, pour ne pas reconnaître en vous un véritable Lincoln.

Il y avait pendant cette entrevue, dans les manières de la dame et du jeune homme, une réserve et une contrainte qui pouvaient être aisément attribuées à l’étiquette minutieuse de l’école de province dont la dame était un membre si distingué, mais qui n’étaient pas suffisantes pour expliquer expression de tristesse qui se manifesta tout à coup sur la figure du jeune homme pendant qu’elle parlait. Ce changement ne fut cependant que momentané, et se remettant aussitôt, il répondit du ton le plus gracieux :

— Depuis longtemps on m’a appris à espérer que je trouverais dans Tremont-Street une seconde maison paternelle, et le souvenir obligeant que vous avez bien voulu conserver de mes parents et de moi, chère Mrs Lechmere, me prouve que mes espérances ne m’ont pas trompé.

La dame entendit cette remarque avec un plaisir sensible, et un sourire dérida son front sévère tandis qu’elle répondait :

— Tout mon désir en effet est que vous vous regardiez ici comme chez vous, quoique cette modeste habitation soit loin d’égaler les somptueuses demeures qu’a dû occuper l’héritier de

  1. Mrs Lechmere appelle toujours Lionel Lincoln son cousin, quoique, à strictement parler, ce fût son petit-neveu. Le mot cousin se prend en Amérique, comme en Angleterre, dans une acception beaucoup plus générale que chez nous.