Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/401

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lontairement de Cécile, vit-il encore ? Nommez-le-moi, vieillard ; livrez-le à ma vengeance ; et je vous bénirai de m’avoir appris cette maudite histoire.

— Lionel, Lionel, pouvez-vous le croire ? s’écria Cécile en pleurant.

— Le croire ! répéta Ralph avec un sourire horrible, comme s’il eût voulu tourner en dérision toute idée d’incrédulité ; oui, il faut qu’il croie tout ce que je lui ai dit, et plus encore. Ton aïeule, jeune fille, employa encore ses anciennes manœuvres pour engager le riche baronnet à épouser sa fille ; et, quand elle vit qu’elle ne pouvait réussir à en faire son gendre, elle se ligua avec les puissances infernales pour assurer sa ruine. La vengeance remplaça l’ambition, et le père de ton mari en fut la victime.

— Continuez ! s’écria Lionel à qui l’intérêt qu’il prenait à ce récit permettait à peine de respirer.

— Le coup qu’il venait de recevoir l’avait frappé au cœur, et la commotion s’en fit sentir à son cerveau. Cet état ne dura qu’une heure, comparé à l’éternité qu’un homme est condamné à passer sur la terre ; mais on profita du dérangement temporaire de sa raison, et, quand ses facultés en désordre eurent repris leur équilibre, il se trouva dans une maison de fous, avec des images dégradées du Créateur, et il y fut retenu vingt ans, grâce aux manœuvres et aux artifices de la misérable veuve de John Lechmere.

— Est-il possible ? cela peut-il être vrai ? s’écria Lionel en levant les mains au ciel, et en se levant avec une violence et une précipitation qui repoussèrent rudement, sans qu’il en eût l’intention, l’innocente créature qui lui tenait le bras et qui avait toujours eu la tête appuyée sur son épaule. Comment êtes-vous instruit de ces faits horribles ? quelle preuve en avez-vous ?

Le sourire calme, mais mélancolique, qui paraissait toujours sur les traits flétris du vieillard, quand il parlait de lui-même, s’y remontra de nouveau, et il répondit :

— Peu de choses sont cachées à celui qui vit longtemps pour les apprendre ! D’ailleurs n’ai-je pas de secrets moyens d’être instruit qui te sont inconnus ? Souviens-toi de tout ce que je t’ai révélé dans nos fréquentes entrevues ; souviens-toi de la scène dont a été témoin le lit de mort de Priscilla Lechmere, et demande-toi si ton vieil ami ne connaît pas la vérité.

— Dites-moi tout, ne me cachez rien de cette maudite histoire ;