Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ma chère grand-maman se trouve mal ! s’écria Cécile en volant à son secours. Vite, Caton… Major Lincoln, hâtez-vous ; pour l’amour du ciel, avancez nous un verre d’eau… Agnès, donnez-moi, vos sels.

Les aimables soins de la petite-fille de Mrs Lechmere n’étaient cependant pas aussi nécessaires qu’on aurait pu le croire d’abord à la vieille dame, qui repoussa doucement les sels, quoiqu’elle ne refusât pas le verre d’eau que Lionel lui offrait pour la seconde fois.

— Je crains que vous ne me preniez pour une vieille bien infirme et bien maussade, dit Mrs Lechmere dès qu’elle se trouva un peu mieux, mais je crois que c’est ce thé dont on a tant parlé ce soir et dont je bois beaucoup, par excès de loyauté[1], qui m’attaque les nerfs ; il faudra vraiment que je m’en prive comme mes filles, mais par un autre motif. Nous sommes habituées à nous retirer de bonne heure, major Lincoln ; mais vous êtes ici chez vous, et vous pouvez agir en toute liberté. Je réclame un peu d’indulgence pour mes soixante-dix ans, et je souhaite qu’une bonne nuit vous fasse oublier les fatigues du voyage. Caton aura soin qu’il ne vous manque rien.

Appuyée sur ses deux pupilles, la vieille dame se retira, laissant à Lionel l’entière jouissance du petit salon. Comme l’heure était assez avancée, et qu’il n’espérait pas voir revenir ses jeunes parentes, il demanda une lumière, et se fit conduire à l’appartement qui lui était destiné. Aussitôt que Meriton lui eut rendu les services qui, à cette époque, faisaient qu’un valet de chambre était indispensable à un gentilhomme, il le renvoya, et jouit du plaisir de s’étendre dans un bon lit.

Cependant tous les incidents de la journée le jetèrent dans une foule de pensées, qui pendant longtemps l’empêchèrent de trouver le repos qu’il cherchait. Après avoir fait de longues et tristes réflexions sur certains événements qui touchaient de trop près aux sentiments de son cœur, pour ne lui offrir qu’un souvenir passager, le jeune homme pensa à l’accueil qu’il avait reçu, et aux trois femmes qu’il venait de voir, pour ainsi dire, pour la première fois.

  1. Loyauté est pris ici, comme dans le reste du roman, dans le sens politique du mot : fidélité au roi et au gouvernement. Aussi le traducteur a-t-il traduit quelquefois plus littéralement loyalty par loyalisme.