Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venez-vous chanter ici vos oraisons à la déesse de la liberté un dimanche matin, ou bien êtes-vous l’alouette de la ville[1], et, faute d’ailes, êtes-vous venu sur cette éminence pour faire entendre de plus haut vos mélodieux accents ?

— Il n’y a pas de mal à chanter des airs de psaumes ou des chansons du continent, quelque jour que ce soit de la semaine, dit Job sans lever les yeux ni sans interrompre son travail ; Job ne sait pas ce que c’est que votre alouette ; mais si elle est de la ville, il faut bien qu’elle vienne sur les hauteurs, puisque les soldats occupent toute la plaine.

— Et quelle objection pouvez-vous faire à ce que les soldats occupent un coin de la plaine ?

— Ils affament les vaches, et alors elles ne donnent pas de lait ; l’herbe est nécessaire à ces pauvres bêtes quand vient le printemps.

— Mais, mon pauvre Job, les soldats ne mangent point le gazon, et vos amies herbivores de toutes les couleurs peuvent savourer la première offrande du printemps comme à l’ordinaire.

— Les vaches de Boston n’aiment pas l’herbe qui a été foulée aux pieds par les soldats anglais, dit Job d’un air sombre.

— En vérité ! c’est porter l’amour de la liberté jusqu’au raffinement, s’écria Lionel en éclatant de rire.

Job secoua la tête d’un air menaçant, et lui dit :

— Prenez garde que Ralph vous entende rien dire contre la liberté.

— Ralph ! Et qu’est-ce que Ralph, mon garçon ? est-ce votre génie ? Où le tenez-vous donc caché pour qu’il puisse entendre ce que je dis ?

— Il est là, dans le brouillard, dit Job en lui montrant du doigt le pied du fanal qu’entouraient des vapeurs épaisses, attirées sans doute par le grand poteau qui le supportait.

Lionel regarda quelques moments la colonne environnée de fumée sans rien distinguer ; enfin il aperçut, au milieu des ondulations vaporeuses, le vieillard qui avait été son compagnon de voyage ; il avait toujours les mêmes vêtements, et leur couleur grise était si bien en harmonie avec les brouillards, qu’elle donnait à son extérieur quelque chose d’aérien et de surnaturel. À

  1. Lark, locution anglaise qui répond au coq de village en français.