Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/63

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l’oreille : il y a eu ici dernièrement une vilaine affaire, dans laquelle le 47e n’a pas cueilli de nouveaux lauriers ; je veux parler de cet indigène qu’on s’est amusé à enduire de pois et à rouler ensuite dans des plumes, à cause d’un vieux mousquet rouillé.

— J’ai déjà ouï parler de cette affaire, dit Lionel, et hier soir j’ai entendu avec peine des soldats qui commettaient quelques excès s’autoriser de l’exemple de leur commandant.

— Chut ! c’est un sujet délicat. Eh bien ! donc, cette affaire de pois et de goudron a mis le colonel en assez mauvaise odeur à Boston, surtout parmi les femmes ; aussi sommes-nous tous au plus mal dans leurs bonnes grâces. J’ai cependant le bonheur de faire exception, et il n’y a pas dans toute l’armée un officier qui se soit fait plus d’amis dans la place que votre humble serviteur. J’ai su faire valoir ma popularité, qui n’est pas un médiocre avantage dans les circonstances actuelles ! et, à force de promesses et de protections secrètes, j’ai obtenu une compagnie, faveur à laquelle le rang que j’occupais dans la cavalerie me donnait, comme vous savez, des droits incontestables.

— Voilà une explication tout à fait satisfaisante, et je regarde l’entier succès de vos démarches comme une preuve certaine que la paix ne sera pas troublée. Gage n’aurait certainement pas autorisé votre changement de corps s’il avait en vue quelques opérations qui demandassent de l’activité.

— Ma foi, je crois que vous avez plus d’à moitié raison. Voilà plus de dix ans que les Yankies[1] pérorent, qu’ils prennent des résolutions, qu’ils les approuvent, comme ils disent ; et à quoi tout cela a-t-il abouti ? Ce n’est pas que les choses n’aillent tous les jours de mal en pis ; mais Jonathas[2] est une véritable énigme pour moi. Vous vous souvenez que quand nous étions ensemble dans-la cavalerie… Dieu me pardonne le suicide que j’ai commis en passant dans la ligne ; ce que je n’aurais jamais fait si j’avais pu trouver dans toute l’Angleterre un cheval qui eût l’allure douce

  1. Yankie est ici employé dans le sens le plus ancien et le plus naturel comme corruption du mot english dans la bouche des sauvages, qui appelèrent ainsi les premiers colons venus d’Angleterre. Plus tard ce terme devint un sobriquet de mépris : on dit encore en anglais yankie doodle (un lourdaud un provincial balourd.)
  2. Jonathas, nom générique des Américains. Ce nom de la Bible était sans doute aussi commun en Amérique que celui de John en Angleterre, celui de Donald en Écosse, et celui de Paddy ou Patrice en Irlande.