Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/78

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tions, afin qu’il pût se livrer librement aux sentiments de la nature. On disait généralement que le major Lincoln, quoiqu’il fût décidé à partager le sort de l’armée en Amérique, si la triste alternative d’un appel aux armes devenait nécessaire, avait reçu la permission de s’amuser deux mois, comme il le jugerait à propos, à dater du jour de son arrivée. Ceux qui se piquaient d’être plus clairvoyants que le vulgaire voyaient ou croyaient voir dans cet arrangement un plan profond et bien combiné de la part de Gage, pour se servir de la présence du jeune Bostonien au milieu de ses parents et de ses amis naturels, pour les ramener à ces sentiments de loyauté et de fidélité envers le roi que beaucoup d’entre eux étaient soupçonnés d’avoir oubliés.

Bien cependant ne justifiait ces conjectures, ni dans la conduite, ni dans la manière de vivre de Lionel. Il continuait à demeurer chez Mrs Lechmere ; mais ne voulant pas abuser de l’hospitalité de sa tante, il avait loué à peu de distance un logement où demeuraient ses domestiques, et où on savait qu’il recevait toutes ses visites. Le capitaine Polwarth ne manque pas de se plaindre hautement d’un arrangement qui détruisait d’un seul coup toutes les espérances qu’il avait fondées sur le séjour de son ami dans une maison qu’habitait sa maîtresse, et où il s’était flatté de s’introduire. Mais comme Lionel recevait ses amis chez lui, avec la libéralité convenable à un jeune homme possesseur d’une grande fortune, le gros officier d’infanterie légère y puisait mille sources de consolation qui lui auraient été refusées si la grave Mrs Lechmere avait présidé aux arrangements domestiques de Lionel.

Lionel et Polwarth étant enfants avaient été à la même école, puis membres du même collège à Oxford, et ensuite depuis bien des années ils étaient officiers au même corps de l’armée. Quoiqu’il eût été difficile de trouver deux hommes qui différassent plus complètement l’un de l’autre, soit au physique, soit au moral, cependant, par un de ces inconcevables caprices qui nous portent à aimer ceux qui forment le plus parfait contraste avec nous, il est certain que l’armée ne renfermait pas deux officiers plus étroitement unis. Il serait inutile de rechercher les causes de cette singulière amitié ; le hasard et l’habitude lient tous les jours des hommes plus dissemblables encore, et cette liaison devient plus forte encore lorsque l’une des parties jouit d’une égalité de caractère à toute épreuve. Quant à cette dernière qualité, le capitaine