Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/127

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au fond des bois, et maintenant, quand nous combattons c’est un blanc qui nous commande. Le vieux chef de l’Horican, votre père, était le grand capitaine de notre nation. Il disait aux Mohawks de faire ceci, de faire cela, et il était obéi. Il fit une loi qui disait que si un Indien buvait de l’eau de feu et venait alors dans les wigwams de toile[1] de ses guerriers, il serait puni. Magua ouvrit follement la bouche, et la liqueur ardente l’entraîna dans la cabane de Munro. — Que fit alors la tête grise ? — Que sa fille le dise !

— Il n’oublia pas la loi qu’il avait faite, et il rendit justice en faisant punir le coupable.

— Justice ! répéta l’Indien en jetant sur la jeune fille, dont les traits étaient calmes et tranquilles, un regard de côté dont l’expression était féroce ; est-ce donc justice que de faire le mal soi-même, et d’en punir les autres ? Magua n’était pas coupable, c’était l’eau de feu qui parlait et qui agissait pour lui ; mais Munro n’en voulut rien croire. Le chef huron fut saisi, lié à un poteau et battu de verges comme un chien, en présence de tous les guerriers à visage pâle.

Cora garda le silence, car elle ne savait comment rendre excusable aux yeux d’un Indien cet acte de sévérité peut-être imprudente de son père.

— Voyez ! continua Magua en entrouvrant le léger tissu d’indienne qui couvrait en partie sa poitrine ; voici les cicatrices qui ont été faites par des balles et des couteaux ; un guerrier peut les montrer et s’en faire honneur devant toute sa nation : mais la tête grise a imprimé sur le dos du chef huron des marques qu’il faut qu’il cache, comme un squaw, sous cette toile peinte par des hommes blancs.

— J’avais pensé qu’un guerrier indien était patient ; que son esprit ne sentait pas, ne connaissait pas les tourments qu’on faisait endurer à son corps.

— Lorsque les Chippewas lièrent Magua au poteau et lui firent cette blessure, répondit le Huron avec un geste de fierté en passant le doigt sur une longue cicatrice qui lui traversait toute la poitrine, le Renard leur rit au nez et leur dit qu’il n’appartenait qu’à des squaws de porter des coups si peu sensibles. Son esprit était alors monté au-dessus des nuages ; mais quand il sentit les

  1. Les tentes.