Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/179

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cœur des soldats découragés, parce qu’ils sentaient leur faiblesse, et par conséquent disposés à s’exagérer les dangers qu’ils avaient à craindre.

Il n’en était pourtant pas de même de ceux qui étaient assiégés dans le fort. Animés par les discours de leurs chefs, et excités par leur exemple, ils étaient encore armés de tout leur courage et soutenaient leur ancienne réputation avec un zèle auquel rendait justice leur sévère commandant.

De son côté le général français, quoique connu par son expérience et son habileté, semblait se contenter d’avoir traversé les déserts pour venir attaquer son ennemi ; il avait négligé de s’emparer des montagnes voisines, d’où il aurait pu foudroyer le fort avec impunité, avantage que dans la tactique moderne on n’aurait pas manqué de se procurer.

Cette sorte de mépris pour les hauteurs, ou pour mieux dire cette crainte de la fatigue qu’il faut endurer pour les gravir, peut être regardée comme la faute habituelle dans toutes les guerres de cette époque. Peut-être avait-elle pris son origine dans la nature de celles qu’on avait eu à soutenir contre les Indiens, qu’il fallait poursuivre dans les forêts où il ne se trouvait pas de forteresses à attaquer, et où l’artillerie devenait presque inutile. La négligence qui en résulta se propagea jusqu’à la guerre de la révolution, et fit perdre alors aux Américains la forteresse importante de Ticonderago, perte qui ouvrit à l’armée de Burgoyne un chemin dans ce qui était alors le cœur du pays. Aujourd’hui on regarde avec étonnement cette négligence, quel que soit le nom qu’on veuille lui donner. On sait que l’oubli des avantages que pourrait procurer une hauteur, quelque difficile qu’il puisse être de s’y établir, difficulté qu’on a souvent exagérée, comme cela est arrivé à Mont-Défiance, perdrait de réputation l’ingénieur chargé de diriger les travaux militaires et même le général commandant l’armée.

Le voyageur oisif, le valétudinaire, l’amateur des beautés de la nature, traversent maintenant dans une bonne voiture la contrée que nous avons essayé de décrire, pour y chercher l’instruction, la santé, le plaisir, ou bien il navigue sur ces eaux artificielles[1], sorties de terre à la voix d’un homme d’État qui a osé risquer

  1. On a creusé plus de trois cents lieues de canaux dans les États-Unis depuis dix ans, et ils sont dus à la première entreprise d’un administrateur, M. Clinton, gouverneur de l’État de New-York en 1828.