Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heyward avait suivi avec la plus vive attention tous les mouvements de l’ours supposé. D’abord il fit asseoir Alice sur une caisse, et dès qu’il vit son ennemi étroitement serré entre les bras du chasseur, de manière à n’avoir l’usage ni des bras ni des mains, il saisit une courroie qui avait servi à lier quelque paquet, et se précipitant sur Magua, il lui en entoura vingt fois les bras, les jambes et les cuisses, et le mit dans l’impossibilité de faire un seul mouvement. Quand le formidable Huron eut été ainsi complètement garrotté, Œil-de-Faucon le laissa tomber par terre où il resta étendu sur le dos.

Pendant cette attaque aussi subite qu’extraordinaire, Magua avait résisté de toutes ses forces, quoiqu’il eût bientôt reconnu que son ennemi était plus vigoureux que lui, mais il n’avait pas laissé échapper une seule exclamation. Ce ne fut que lorsque le chasseur, pour lui faciliter l’explication de cette conduite, eut exposé à ses regards sa propre tête au lieu de celle de l’ours, que le Huron ne put retenir un cri de surprise.

— Ah ! vous avez donc retrouvé votre langue ? dit Œil-de-Faucon fort tranquillement ; c’est bon à savoir ; il n’y a plus qu’une petite précaution à prendre pour que vous ne puissiez pas vous en servir contre nous.

Comme il n’y avait pas de temps à perdre, le chasseur se mit sur-le-champ à bâillonner son ennemi, et après cette opération le redoutable Indien n’était plus à craindre.

— Mais comment le coquin est-il entré ici ? demanda-t-il ensuite au major. Personne n’a passé dans l’autre appartement depuis que vous m’avez quitté.

Heyward lui montra la porte par où le sauvage était arrivé, et les obstacles qui les exposaient à perdre beaucoup de temps s’ils voulaient y passer eux-mêmes.

— Puisque nous n’avons pas à choisir, dit le chasseur, il faudra bien sortir par l’autre et tâcher de gagner le bois. — Allons, prenez la jeune dame par-dessous le bras.

— Impossible ! Voyez, elle nous voit, elle nous entend ; mais la terreur lui a ôté l’usage de ses membres ; elle ne peut se soutenir.

— Partez, mon digne ami, sauvez-vous, et abandonnez-moi à mon destin.

— Il n’y a pas de transe qui n’ait sa fin, et chaque malheur est une leçon qu’on reçoit. — Enveloppez-la dans cette pièce d’étoffe