Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/322

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lui exprimer dans la bouche le jus d’une racine que je connais, et qui n’a d’effet qu’en plein air et dans une solitude complète. C’est le seul moyen de la mettre à l’abri de nouvelles attaques du malin esprit. Avant le point du jour elle sera reconduite dans le wigwam de son mari.

Le vieux chef traduisit aux sauvages ce que Duncan venait de prononcer en français ; et un murmure général annonça la satisfaction qu’ils éprouvaient de ces heureuses nouvelles. Il étendit lui-même le bras en faisant signe au major de continuer sa route, et ajouta d’une voix ferme :

— Allez, je suis un homme ; j’entrerai dans la caverne, et je combattrai le malin esprit.

Heyward s’était déjà mis en marche ; mais il s’arrêta en entendant ces paroles effrayantes.

— Que dit mon frère ? s’écria-t-il ; veut-il être cruel envers lui-même, ou a-t-il perdu la raison ? Veut-il aller trouver la maladie pour qu’elle s’empare de lui ? Ne craint-il pas qu’elle ne s’échappe, et qu’elle ne poursuive sa victime dans les bois ? C’est moi qui dois reparaître devant elle pour la conjurer quand la guérison de cette femme sera complète. — Que mes frères gardent cette porte à vue, et si l’esprit se présente pour en sortir, sous quelque forme que ce soit, assommez-le à coups de massue. Mais il est malin, il se tiendra renfermé sous la montagne quand il verra tant de guerriers disposés à le combattre.

Ce discours produisit l’effet que Duncan en espérait. Les hommes appuyèrent leurs tomahawks sur leurs épaules pour en frapper l’esprit s’il se montrait ; les femmes et les enfants s’armèrent de pierres et de bâtons pour exercer de même leur vengeance sur l’être imaginaire qu’ils supposaient l’auteur des souffrances de la malade, et les deux prétendus sorciers saisirent ce moment favorable pour s’éloigner.

Œil-de-Faucon, tout en comptant ainsi sur les idées superstitieuses des Indiens, savait fort bien qu’elles étaient plutôt tolérées que partagées par les plus sages de leurs chefs. Il sentait donc combien le temps était précieux en pareille occasion. Quoique les ennemis eussent favorisé ses projets par leur crédulité, il n’ignorait pas que le moindre soupçon qui se présenterait à l’esprit d’un seul Indien pouvait lui devenir fatal. Il prit un sentier détourné pour éviter de passer devant les habitations. Les enfants avaient