Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/367

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que la maturité de son expérience lui offrait dans son cœur, aux objets visibles du monde. Ce décret une fois rendu, il n’y avait pas un seul Delaware assez audacieux pour se permettre le moindre murmure, à plus forte raison la moindre opposition. À peine ces paroles étaient-elles prononcées que quatre ou cinq des jeunes guerriers, s’élançant derrière Heyward et le chasseur, leur passèrent des liens autour des bras avec tant de rapidité et d’adresse que les deux prisonniers se trouvèrent dans l’impossibilité de faire aucun mouvement. Le premier était trop occupé de soutenir la malheureuse Alice, qui presque insensible était appuyée sur son bras, pour soupçonner leurs intentions avant qu’elles fussent exécutées ; et le second, qui regardait même les peuplades ennemies des Delawares comme une race d’êtres supérieurs, se soumit sans résistance. Peut-être n’eût-il pas été si endurant s’il avait entendu le dialogue qui venait d’avoir lieu dans une langue qu’il ne comprenait pas bien.

Magua jeta un regard de triomphe sur toute l’assemblée avant de procéder à l’exécution de ses desseins. Voyant que les hommes étaient hors d’état de résister, il tourna les yeux sur celle qui était pour lui le bien le plus précieux. Cora lui lança un regard si ferme et si calme que sa résolution faillit l’abandonner. Se rappelant alors l’artifice qu’il avait déjà employé, il s’approcha d’Alice, la souleva dans ses bras, et ordonnant à Heyward de le suivre, il fit signe à la foule de s’ouvrir pour les laisser passer. Mais Cora, au lieu de céder à l’impulsion sur laquelle il avait compté, se précipita aux pieds du patriarche, et élevant la voix, elle s’écria :

— Juste et vénérable Delaware, nous implorons ta sagesse et ta puissance, nous réclamons ta protection. Sois sourd aux perfides artifices de ce monstre inaccessible aux remords, qui souille tes oreilles par des impostures, pour assouvir la soif de sang qui le dévore. Toi qui as vécu longtemps, et qui connais les malheurs de cette vie, tu dois avoir appris à compatir au sort des malheureux.

Les yeux du vieillard s’étaient ouverts avec effort, et s’étaient de nouveau portés sur le peuple. À mesure que le son touchant de la voix de la suppliante vint frapper son oreille ils se dirigèrent lentement vers Cora et finirent par se fixer sur elle sans que rien pût les en détourner. Cora s’était jetée à genoux ; les mains serrées l’une dans l’autre et appuyées contre son sein, le front flétri