Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/63

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verts d’arbres dont la cime se dessinait faiblement sur l’azur du firmament, était rempli d’épaisses ténèbres ; derrière eux, la vue était bornée par un coude que faisait la rivière, et l’on n’apercevait que la ligne noire des eaux. Mais en face, et à ce qu’il paraissait à peu de distance, l’eau semblait tomber du ciel pour se précipiter dans de profondes cavernes, avec un bruit qui se faisait entendre bien loin dans les bois. C’était un lieu qui semblait consacré à la retraite et à la solitude, et les deux sœurs, en contemplant les beautés de ce site à la fois gracieux et sauvage, respirèrent plus librement, et commencèrent à se croire plus en sûreté. Les chevaux avaient été attachés à quelques arbres qui croissaient dans les fentes des rochers ; et ils devaient y rester toute la nuit les jambes dans l’eau. Un mouvement général qui eut lieu alors parmi les conducteurs ne permit pas aux voyageurs d’admirer davantage les charmes que la nuit prêtait à cet endroit. Le chasseur fit placer Heyward, ses deux compagnes et le maître de chant à l’un des bouts du canot, et prit possession de l’autre, aussi ferme que s’il eût été sur le gaillard d’arrière d’un vaisseau de ligne. Les deux Indiens retournèrent à l’endroit qu’ils avaient quitté pour les accompagner jusqu’au canot, et le chasseur, appuyant une longue perche contre une pointe de rocher, donna à sa nacelle une impulsion qui la porta au milieu de la rivière. La lutte entre le courant rapide et la frêle barque qui le remontait fut pénible pendant quelques minutes, et l’événement en paraissait douteux. Ayant reçu l’ordre de ne pas changer de place et de ne faire aucun geste, de crainte que le moindre mouvement ne fît chavirer le canot, les passagers osaient à peine respirer, et regardaient en tremblant l’eau menaçante. Vingt fois ils se crurent sur le point d’être engloutis ; mais l’adresse du pilote expérimenté triomphait toujours. Un vigoureux effort, un effort désespéré, à ce que pensèrent les deux sœurs, termina cette navigation pénible. À l’instant où Alice se couvrait les yeux par un instinct de terreur, convaincue qu’ils allaient être entraînés dans le tourbillon qui bouillonnait au pied de la cataracte, la barque s’arrêtait près d’une plate-forme de rocher dont la surface ne s’élevait qu’à deux pouces au-dessus de l’eau.

— Où sommes-nous, et que nous reste-t-il à faire ? demanda Heyward, voyant que le chasseur ne faisait plus usage ni des rames ni de l’aviron.