c’était un fusil français, ce qu’on appelle une canardière, dont le canon est presque une fois aussi long que celui-ci. Je lui vis faire un tel abattis de gibier sur le grand lac qu’il fallut une barque pour le porter. Quand je suivis sir William contre les Français au fort Niagara, on ne connaissait que le long fusil, comme celui-ci ; et c’est une fière arme dans les mains d’un homme qui sait la charger, et qui a le coup d’œil sûr. Le capitaine sait comme nous nous escrimâmes contre les Français et les Iroquois dans cette guerre. Chingachgook, ce qui signifie le Grand-Serpent en anglais, le vieux John Mohican, si vous l’aimez mieux, qui demeure avec moi dans ma hutte, était un grand guerrier alors, et il pourrait vous en conter tous les détails ; cependant il était plus fort au tomahawk[1] qu’au fusil, et, quand il avait tiré un ou deux coups, il ne songeait plus qu’à se procurer des chevelures. Hélas ! le bon temps est passé. Alors, depuis la Mohawk jusqu’aux forts, on trouvait à peine des sentiers par où un cheval chargé pouvait passer ; et l’on n’était embarrassé que du choix du gibier. Aujourd’hui, tout le pays est découvert ; on voit des grandes routes partout, et, si mon vieux Hector n’avait pas le nez si bon, je passerais quelquefois des journées entières sans trouver une pièce de gibier.
— Il me semble, Bas-de-Cuir, dit l’hôtesse, que vous faites un pauvre compliment à votre camarade en lui donnant un des noms du malin esprit, et d’ailleurs le vieux John ne ressemble guère aujourd’hui à un serpent. Vous auriez mieux fait de l’appeler Nemrod, d’autant plus que c’est un nom chrétien, puisqu’il se trouve dans la Bible. Le sergent m’en a lu un chapitre où il était question de lui, le soir d’avant mes relevailles, et l’on n’oublie pas ce qu’on entend lire dans ce livre.
— Le vieux John et Chingachgook étaient deux hommes bien différents, répliqua Natty en secouant la tête à ce souvenir mélancolique. Pendant la guerre de 58, il était dans la maturité de l’âge, et il avait trois pouces de plus que moi. Si vous l’aviez vu le matin du jour où nous battîmes Dieskau, vous auriez avoué qu’il était impossible de voir une peau rouge plus avenante. Il était nu jusqu’à la ceinture, et il était peint… non, jamais créature ne l’a si bien été. Il avait un côté de la figure noir, l’autre
- ↑ Espèce de hache des Indiens. (Voyez les notes du Dernier des Mohicans)