Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’élevait par degrés, et il arriva enfin à un diapason qui mit fin à toute conversation. Natty, relevant alors la tête, lui parla avec chaleur dans sa langue naturelle ; mais par égard pour nos lecteurs, nous traduirons son discours dans un langage plus intelligible pour eux.

— À quoi bon chanter vos exploits, Chingachgook, et parler des guerriers que vous avez tués, quand le plus grand ennemi est près de vous et usurpe les droits du jeune aigle ? J’ai combattu dans autant de batailles qu’aucun guerrier de votre nation, mais je ne saurais m’en vanter dans un temps comme celui-ci.

L’Indien fit un effort pour se lever, mais il ne put se soutenir sur ses jambes, et il retomba sur son banc. — Œil-de-Faucon, dit-il, je suis le grand serpent des Delawares ; je puis suivre les Mingos à la piste comme la couleuvre qui dérobe les œufs d’un oiseau, et, comme le serpent à sonnettes, les terrasser d’un seul coup. L’homme blanc a bien parlé ce soir ; il a voulu donner au tomahawk de Chingachgook la blancheur des eaux de l’Otsego ; mais il est encore rouge du sang des Maquas.

— Et pourquoi avez-vous tué ces guerriers mingos ? N’était-ce pas pour assurer aux enfants de vos pères la possession de ces bois et de ces lacs qui ont été abandonnés en conseil solennel au mangeur de feu ! Et cependant le sang d’un guerrier ne coule-t-il pas dans les veines d’un jeune chef qui devrait parler bien haut dans les lieux où sa voix ne peut se faire entendre ?

Cette conversation, que chacun écoutait sans la comprendre, sembla rendre un moment au vieil Indien l’usage de ses facultés. Il secoua la tête d’un air menaçant, rejeta en arrière ses cheveux noirs, se leva de nouveau, parvint à s’affermir sur ses jambes, et fixant sur Marmaduke des yeux brillants d’un ressentiment sauvage, il porta la main sur son tomahawk qui était attaché à sa ceinture.

— Ne verse pas de sang ! s’écria Natty qui vit que le vieux chef reprenait le caractère de férocité qui lui était naturel.

Mais Richard venait de placer devant le Mohican un pot rempli de flip ; le vieux sauvage le saisit des deux mains et le vida tout d’un trait. Au même instant ses yeux s’égarèrent ; sa vue se troubla ; ses traits n’exprimèrent plus que l’idiotisme, le pot lui échappa des mains, et il retomba sur son banc, la tête en avant et appuyée sur la table.