Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/175

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vait plus s’en écarter, et il était obligé d’admettre tous les candidats qui se présentaient.

Le rassemblement se composait de vingt à trente jeunes gens, et de tous les enfants du village. Ceux-ci, couverts de vêtements grossiers, mais bien chauds, étaient rangés en cercle autour des tireurs, les mains dans leur gilet ou dans leurs poches, écoutant avec attention les histoires de leurs prouesses passées, et brûlant de voir arriver l’instant où ils pourraient se distinguer de même à leur tour.

Le principal orateur de la troupe était ce Billy Kirby, dont Natty Bumppo avait parlé quelques instants auparavant. C’était un jeune homme de grande taille, bûcheron de profession, et dont la physionomie annonçait le caractère. Il était bruyant, volontaire, pétillant ; mais son front découvert, la bonne humeur qui brillait dans ses yeux, et son air de franchise, contrastaient avec son ton brusque et avantageux. Quand il avait quelque argent, il passait son temps dans les tavernes, et il préférait souvent rester dans l’oisiveté, plutôt que de diminuer un centime sur le montant des gages qu’il demandait. Mais, quand il avait une fois conclu son marché, il prenait sa hache et son fusil, et se mettait à l’ouvrage avec le courage et la vigueur d’un Hercule. Son premier soin était de reconnaître la portion de bois qu’il avait à abattre, en donnant çà et là un coup de hache pour rafraîchir les entailles de l’écorce des arbres qui formaient la limite. Ensuite, s’avançant d’un air décidé au centre de l’enceinte désignée, il ôtait ses vêtements superflus, et mesurait d’un regard significatif un ou deux des arbres les plus proches qui semblaient s’élancer jusqu’aux nuages. Choisissant le plus beau pour première épreuve de son bras, il allait à lui en sifflant avec une insouciance affectée, faisait tourner sa hache dans sa main avec un mouvement analogue à celui d’un maître d’escrime qui fait le salut, frappait un léger coup sur l’écorce, et mesurait sa distance. Une pause d’un moment était la dernière minute de grâce pour la forêt séculaire : aux coups terribles et répétés dont ce moment était le prélude, succédait le bruit de l’arbre, lorsque ses ligaments tranchés par le fer le laissaient fléchir, déchirer dans sa chute les arbres voisins, et tomber enfin sur la terre avec un fracas qui équivalait presque à celui d’un tremblement de terre. À compter de ce moment, les coups de la hache ne cessaient plus : la chute continuelle des arbres ressem-