d’une chose avec une autre. Or, dans ce pays, quand il s’agit d’un duel, celui dont le coup ne part pas n’a pas le droit d’en tirer un second sur son adversaire. Le même principe doit donc nous guider ici ; car il serait ridicule de prétendre qu’un homme pourrait rester toute la journée à tirer sur un dindon, parce qu’à chaque coup l’amorce ne prendrait pas. Je prononce donc que Natty Bumppo n’a le droit de tirer un second coup qu’en payant un second shilling.
Cette décision partait d’un tribunal trop respectable pour qu’on pût en interjeter appel. Les spectateurs, qui avaient commencé à prendre parti pour et contre, s’y soumirent sans murmurer. Natty fut le seul qui osa témoigner du mécontentement.
— Je voudrais bien savoir ce qu’en pense miss Temple, dit-il ; j’ai acheté le droit d’envoyer une balle de plomb à cet oiseau, et non pas celui de faire sonner un maudit caillou sur une plaque d’acier. Si elle dit que j’ai perdu, à la bonne heure.
— Eh bien ! Je dis que vous avez perdu, Natty, dit Élisabeth ; mais je paie un shilling à Brom pour vous donner une seconde chance, à moins qu’il ne veuille me vendre son dindon pour un dollar, pour mettre fin à ce divertissement inhumain.
Cette proposition ne plut à aucun de ceux qui l’entendirent, et le nègre lui-même ne fut pas tenté de l’accepter, attendu qu’il se flattait que son dindon lui rapporterait davantage, et finirait peut-être même par lui rester.
Cependant Billy Kirby chargeait son fusil tandis que Natty ôtait la pierre du sien pour en mettre une autre, tout en murmurant :
— On ne peut plus acheter une bonne pierre à fusil dans les environs du lac, dit-il, depuis que ce sont les blancs qui en font le commerce. Et si l’on en cherche au pied des montagnes où l’on en trouvait autrefois à chaque pas, il y a vingt à parier contre un que la charrue les a couvertes de terre. Il semble que plus le gibier devient rare, plus les moyens de s’en procurer diminuent. Et tout cela vient pourtant de ces maudits défrichements. Voici cependant une pierre qui a l’air d’être bonne. Je tirerai mon second coup, car Billy Kirby n’est pas en état de toucher un pareil but à une telle distance.
Le bûcheron, de son côté, semblait sentir que sa réputation dépendait en grande partie du coup qu’il allait tirer. Il leva son fusil, ajusta longtemps, ne tira que lorsqu’il se crut sûr du succès,