Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/22

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l’animal a reçu deux blessures ; l’une au cou et l’autre au cœur ; or rien ne prouve que mon fusil n’ait pas fait l’une des deux.

— N’importe qui l’ait tué, dit Natty en fronçant les sourcils, je présume qu’il est destine à être mangé ; et, tirant un grand couteau d’une gaine de cuir passée dans sa ceinture, il coupa la gorge de l’animal.

— Il est percé, de deux balles, ajouta-t-il ; mais je voudrais bien savoir s’il n’a pas été d’abord tiré deux coups ; et vous conviendrez vous-même, juge, qu’il n’est tombé qu’au troisième. Or ce troisième a été lâché par une main plus sûre et plus jeune que la vôtre et la mienne. Quant à moi, quoique je sois un pauvre homme, je puis fort bien vivre sans venaison ; mais, dans un pays libre, je n’aime pas à renoncer à mes droits, quoique, de la manière dont vont les choses, c’est la force qui fait souvent le droit ici tout aussi bien que dans l’ancien Monde.

Il, parlait ainsi avec un air de sombre mécontentement, mais il jugea prudent de baisser la voix à la dernière phrase ; il la prononça entre les dents, comme un chien qui gronde quand il n’ose aboyer.

— Je ne dispute que pour l’honneur, Natty, reprit Marmaduke avec une tranquillité imperturbable. Que peut valoir ce daim ? quelques dollars. Mais l’honneur de l’avoir tué, voilà ce qui est inappréciable. Quel plaisir j’aurais à triompher ainsi de ce mauvais plaisant Richard Jones, qui s’est déjà mis en chasse sept fois cette saison, et qui n’a encore rapporté qu’une bécasse et quelques écureuils gris ?

— Ah ! juge, s’écria Natty avec un soupir de résignation plaintive, grâce à vos défrichements et à vos améliorations, le gibier n’est pas facile à trouver, maintenant. J’ai vu le temps où j’ai tué dans une saison treize daims et je ne sais combien de faons, sans quitter le seuil de ma porte ; et si je voulais un jambon d’ours je n’avais qu’à veiller une nuit de clair de lune ; et j’étais sûr d’en tuer un à travers les intervalles que laissaient entre elles les solives de ma cabane. Je n’avais pas peur de m’endormir, les hurlements des loups y mettaient bon ordre. Voyez, mon vieux Hector, ajouta-t-il en caressant un grand chien à poil bigarré de jaune, ayant le ventre et les pattes blanches et qui était soudain accouru à lui, accompagné de la chienne dont il avait parlé› ; ce sont les loups qui lui ont fait la blessure dont il lui reste cette large cica-