Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/229

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tion, et dès que M. Richard donnera le signal, lâchez votre bordée ; mais ayez soin de tirer bas, et vous coulerez à fond toute la volée.

— Tirer bas ! s’écria Kirby ; écoutez le vieux fou ! ce serait le moyen de frapper les souches, mais nous ne ferions pas voler une plume de pigeon.

— Qu’en savez-vous, grand mal appris ? répliqua Benjamin avec une chaleur peu convenable à un officier général à l’instant du combat. N’ai-je pas servi cinq ans à bord de la Boadicée ? et n’ai-je pas entendu vingt fois le capitaine ordonner de tirer bas, afin que la bordée portât dans les œuvres vives ? Faites ce que je vous dis, et attention au commandement !

Tous les chasseurs poussèrent de grands éclats de rire, mais ils se turent dès que la voix imposante de Richard leur eut ordonné silence et attention.

On calculait que plusieurs millions de pigeons avaient déjà passé dans la matinée au-dessus de la vallée de Templeton, mais de toutes les troupes qu’on avait vues jusque alors, aucune ne pouvait se comparer à celle qui arriva en ce moment. Elle ne formait qu’une masse bleue qui s’étendait d’une montagne à l’autre, et dont l’œil cherchait inutilement à apercevoir la fin du côté du sud. Le front de cette colonne vivante était distinctement marqué par une ligne droite qui n’offrait que bien peu de dentelures : tant le vol de ces oiseaux était régulier. Marmaduke lui-même oublia les reproches de Natty en la voyant avancer, et de même que tous les autres il appuya son mousquet sur son épaule.

— Feu ! s’écria le shérif en touchant de son charbon l’amorce du fauconneau.

Comme une partie de la charge de Benjamin s’échappa par la lumière, le bruit de la décharge de mousqueterie précéda celui de la pièce d’artillerie ; mais l’effet n’en fut pas moins terrible, et il tomba littéralement une pluie de pigeons. Cette décharge simultanée du fauconneau et d’une trentaine de fusils mit le désordre dans les rangs des oiseaux. Ceux qui étaient à l’avant-garde continuèrent à voler en avant en redoublant de rapidité, tandis que le corps d’armée, s’arrêtant tout à coup, s’éleva bien au-dessus des plus hauts pins, volant circulairement de gauche, de droite et en arrière, mais sans oser passer au-dessus de l’endroit marqué par le désastre de ceux qui les avaient pré-