Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/234

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Pendant ce dialogue, qui était évidemment la suite d’une plus longue discussion, on voyait Billy Kirby, nonchalamment étendu devant le feu, et qui se servait d’un éclat de bois en guise de cure-dent, secouer de temps en temps la tête d’un air d’incrédulité en écoutant les merveilles racontées par Benjamin. Mais en ce moment il paraît qu’il jugea à propos de faire connaître ce qu’il en pensait.

— J’ai dans l’idée, dit-il, qu’il y a dans ce lac assez d’eau pour la plus grosse baleine qu’on ait jamais inventée. Quant aux pins, je crois que je dois m’y connaître, car j’en ai abattu plus d’un qui avait, entre souche et cime, soixante fois la longueur du manche de ma hache ; en bien ! Ben-la-Pompe, je vous dirai que si le vieux pin qui est sur le haut de la montagne de la Vision, et vous pouvez le voir d’ici, car la lune donne encore sur ses dernières branches, je vous dirai que s’il était planté dans l’endroit le plus profond du lac, il y aurait encore assez d’eau pour que le plus grand vaisseau qui ait jamais été construit pût voguer par-dessus, sans toucher à ses branches ; et je le crois comme je vous le dis.

— Avez-vous jamais vu un vaisseau, Kirby ? avez-vous jamais vu un vaisseau ? Avez-vous jamais vu autre chose que des barques d’écorce ou de planches flottant sur cette goutte d’eau douce ?

— Oui, j’en ai vu ; je puis le dire sans mentir.

— Mais avez-vous jamais vu un vaisseau de ligne, un vaisseau de ligne anglais ? Où avez-vous vu un vaisseau régulièrement construit, ayant étambord et éperon ; gabords et contre-hiloires ; passe-avant, écoutilles et gouttières ; gaillard d’arrière et gaillard d’avant ? Dites-moi où vous avez vu de pareils vaisseaux à trois mâts et à trois ponts ?

Cette question produisit beaucoup d’effet sur tous ceux qui l’entendirent. Richard lui-même dit souvent par la suite que c’était bien dommage que Benjamin ne sût pas lire, parce que s’il l’avait su, il aurait été un excellent officier de marine, et qu’il n’était pas étonnant que les Anglais vainquissent si souvent les Français sur mer, puisque tous les marins anglais, jusqu’au dernier, connaissaient si bien toutes les parties d’un vaisseau. Billy Kirby fut le seul qui ne s’en laissa pas imposer par cet étalage d’érudition. Il était intrépide, n’aimait pas les étrangers ; et se levant brusquement, il se plaça en face de Benjamin, les bras