Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— En y réfléchissant, dit Edwards, je dois convenir que ma situation ici est un peu équivoque, quoique je puisse dire que je l’ai achetée de mon sang.

— Et du sang d’un des maîtres naturels du pays, ajouta Élisabeth avec un sourire malin.

— Porté-je donc des marques évidentes de cette parenté ? demanda Edwards d’un ton un peu piqué. J’ai la peau brune et hâlée, mais il me semble qu’elle n’est pas rouge.

— Pardonnez-moi, répondit Élisabeth en souriant encore ; elle l’est un peu… en ce moment.

— Je suis sûre, miss Temple, que vous n’avez pas bien regardé M. Edwards, s’écria Louise. Il n’a pas les yeux aussi noirs que Mohican, ni même que les vôtres ; il a les cheveux de la même couleur que vous.

— Eh bien ! que sait-on ? dit Élisabeth avec gaieté ; j’ai peut-être des droits à une même origine. Ce serait un soulagement pour moi que de le penser ; car je ne puis jamais voir sans un secret chagrin le vieux Mohican promener dans ce pays l’ombre en quelque sorte de ceux qui en étaient autrefois les maîtres, et sa vue semble me dire combien sont faibles les droits de mon père sur la propriété de ce district.

— Pensez-vous véritablement ainsi ? s’écria Edwards avec une vivacité qui fit tressaillir les deux amies.

— Sans doute, répondit Élisabeth après un moment de silence occasionné par la surprise. Mais que puis-je faire ? que peut faire mon père ? Quand nous offririons à ce vieillard un asile et des secours, ses habitudes feraient qu’il nous refuserait. Et quand nous pourrions, comme Bas-de-Cuir le désirerait, charger de nouvelles forêts ces terres que nous avons fertilisées, nous ne serions pas assez insensés pour le faire.

— Vous dites la vérité, miss Temple, reprit Edwards, que pouvez-vous faire ? Mais il est une chose que vous pouvez faire, et que je suis sûr que vous ferez quand vous serez la maîtresse de ces belles vallées, de ces magnifiques montagnes. Employez vos richesses à soulager les infortunés, faites du bien à vos semblables ; il est très-vrai que c’est tout ce que vous pouvez faire.

— Et ce sera faire beaucoup ! s’écria Louise en souriant ; mais à cette époque miss Temple aura sans doute un seigneur et maître de ses biens comme de sa personne.