Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/267

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le regrettent jamais. Œil-de-Faucon fumait sa pipe avec les chefs en ce conseil, car il était notre ami.

— Non, non, John, dit Natty, je n’étais pas un chef ; j’étais trop peu instruit pour cela, et d’ailleurs j’avais la peau blanche. Mais alors c’était un plaisir de chasser dans ces bois ; et il en serait encore de même aujourd’hui sans l’argent de Marmaduke Temple, et sans les astuces de la loi.

— Ce devait être un plaisir bien mélancolique, dit Edwards, que de parcourir ces montagnes, d’errer dans ces bois, de côtoyer ce beau lac, sans rencontrer une seule créature à qui l’on pût parler !

— Ne viens-je pas de vous dire que c’était un endroit agréable ? reprit Natty. Oui, oui, quand les arbres commençaient à prendre leurs feuilles, et que la glace se fondait sur le lac, c’était comme un second paradis terrestre. J’ai voyagé dans les bois pendant cinquante trois ans ; j’y ai fait ma demeure pendant plus de quarante, et je n’ai jamais vu qu’un seul endroit qui me plût davantage, et encore il ne plaisait qu’à mes yeux, car il ne valait celui-ci ni pour la chasse ni pour la pêche.

— Et où était cet endroit ? demanda Edwards.

— Où ? sur les montagnes de Cattskills. J’y allais souvent à la chasse des loups et des ours, dont je vendais la peau un bon prix. Il y a sur ces montagnes un endroit où j’avais coutume de monter quand je voulais voir ce qui se passait dans le monde, et cela valait bien une paire de pantalons déchirés et quelques égratignures à la peau. Vous connaissez les montagnes de Cattskills, monsieur Edwards, car vous devez les avoir laissées sur votre gauche, en remontant la rivière depuis York. Leur sommet paraît aussi bleu que le firmament, et les nuages qui sont au-dessus sont comme la fumée qui s’élève sur la tête d’un chef indien près du feu du conseil. Eh bien ! il y a le Grand-Pic et la Table-Ronde, qui semblent comme le père et la mère au milieu de leurs enfants, tant ils s’élèvent au dessus des autres. Mais l’endroit dont je parle est près de la rivière, au haut d’une montagne séparée de la chaîne des autres, et qui, dans sa hauteur de plus de mille pieds, semble composée d’un si grand nombre de rochers entassés les uns sur les autres, ceux-ci plus grands, ceux-là plus petits, que, lorsqu’on est au sommet, on est assez fou pour croire qu’on pourrait en descendre en sautant de l’un sur l’autre.