Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/31

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entré au service dès sa première jeunesse, mais, il y a soixante ans, on n’obtenait pas un avancement aussi rapide qu’aujourd’hui dans les armées de la Grande-Bretagne. On passait, sans murmurer, de longues années dans des grades inférieurs, et l’on n’en était dédommagé que par la considérations qu’on accordait au militaire. Quand donc, après quarante ans, le père de l’ami de Marmaduke se retira avec le grade de major, et qu’on le vit maintenir un établissement splendide, il n’est pas étonnant qu’il fût regardé comme un des principaux personnages de sa colonie, qui était celle de New-York. Après avoir refusé l’offre qui lui fut faite, par le ministère anglais, de la-demi-paie ou d’une pension pour le récompenser des services qu’il avait rendus, et que son âge ne lui permettait plus de rendre, il refusa de même divers emplois civils, honorifiques et lucratifs, par suite d’un caractère chevaleresque qui le portait à l’indépendance et qu’il avait conservé toute sa vie.

Cet acte de désintéressement patriotique fut bientôt suivi d’un trait de munificence privée, qui, s’il n’était pas d’accord avec la prudence, l’était du moins avec son intégrité et sa générosité naturelle. Son fils Édouard, seul enfant qu’il eût jamais eu, ayant fait un mariage qui comblait tous les vœux de son père, le major se démit en sa faveur de la totalité de ses biens ; sa fortune consistait en une somme considérable ; placée dans les fonds publics, en une maison à New-York, en une autre à la campagne, en plusieurs fermes dans la partie habitée de la colonie, et en une vaste étendue de terre dans la partie, qui ne l’était pas encore ; le père ne se réserva absolument rien pour lui même, et n’eut plus à compter que sur la tendresse de son fils.

Quand le major Effingham avait refusé les offres libérales du ministère, tous ceux qui briguent les faveurs de la cour l’avaient soupçonné de commencer à radoter ; mais quand on le vit se mettre ainsi dans une dépendance absolue de son fils, personne ne douta plus qu’il ne fût tombé dans une seconde enfance. Ce fait peut servir à expliquer la rapidité avec laquelle il perdit son importance ; et, s’il avait pour but de vivre dans la solitude, le vétéran vit combler ses souhaits. Mais quelque opinion que le monde se fût formée de cet acte soit de folie, soit d’amour paternel, le major n’eut pourtant jamais à s’en repentir ; son fils répondit toujours à la confiance, que lui avait montrée son père, et se con-