Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/366

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— Où est Bas-de-Cuir, John ? lui demanda-t-elle. Il m’a priée de lui apporter ici cette corne à poudre, mais je ne le vois nulle part. Pouvez-vous vous charger de la lui remettre ?

Mohican leva la tête lentement, avança la main pour recevoir la corne, et y arrêta ses yeux avec un air d’intérêt pénible.

— Voilà le grand ennemi de ma nation, dit-il ; sans cela, comment les blancs auraient-ils pu chasser devant eux les Delawares ? Ma fille, le Grand-Esprit a appris à vos pères à faire de la poudre et des fusils, pour qu’ils pussent détruire les Indiens sur la surface de la terre. Bientôt il n’y aura plus de Peau-Rouge dans ce pays. John est le dernier de sa race, et quand il sera parti, elle aura disparu de ces montagnes.

Le vieux chef pencha son corps en avant, et appuyant le coude sur son genou, il sembla faire ses derniers adieux à la vallée, où tous les objets étaient encore distincts, quoique l’air semblât s’épaissir davantage à chaque instant, et que miss Temple crût s’apercevoir qu’elle avait plus de difficulté à respirer. L’œil de Mohican changea d’expression peu à peu, et perdit celle de la tristesse pour prendre un air égaré, qui le faisait presque ressembler à un prophète dans un moment d’inspiration.

— Mais il va rejoindre ses pères dans le pays des Esprits, continua-t-il ; le gibier y sera aussi abondant que le poisson l’est dans les lacs. Nulle femme ne se plaindra de manquer de nourriture. Aucun Mingo n’y viendra jamais. On y chassera pour les enfants, et les Peaux-Rouges y vivront en frères.

— Ce n’est pas là le ciel d’un chrétien, John, s’écria Élisabeth ; vous retombez dans les superstitions de vos ancêtres.

— Pères, enfants, ajouta Mohican, tout est parti, tout. Je n’ai d’autre fils que le jeune Aigle, et c’est le sang d’un homme blanc.

— Dites-moi, John, dit miss Temple, voulant faire diversion aux idées du vieillard, et cédant peut-être à l’impulsion secrète de son propre cœur, qui est ce M. Edwards ? Pourquoi avez-vous tant d’affection pour lui ? Quelle est sa famille ?

L’Indien tressaillit à cette question, qui reporta ses pensées vers la terre… Prenant la main de miss Temple, il la fit asseoir près de lui, et étendant les bras du côté du nord : — Voyez, ma fille, lui dit-il, tout ce que vous apercevez de ce côté, aussi loin que votre vue peut s’étendre, appartenait à son…

Mais, tandis qu’il parlait ainsi, un nuage de fumée passa sur sa