Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/38

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s’en était fallu de bien peu qu’il n’eût ôté la vie à un de ses semblables. Il en résulta quelque temps un silence profond dans le sleigh.

Le juge ne sortit de ses réflexions qu’à l’instant où les chevaux, sentant l’écurie, commencèrent à marcher d’un pas plus rapide. Levant alors la tête, il vit de loin quatre colonnes d’épaisse fumée s’élever au-dessus de ses cheminées. Le vallon, le village et sa maison s’offrirent en même temps à sa vue, et il s’écria avec gaieté :

— Regarde, Bess, regarde ! voilà un lieu de repos pour toute ta vie, — et pour la tienne aussi, jeune homme, si tu veux consentir à rester avec nous.

Les yeux du jeune homme et ceux de la jeune fille se rencontrèrent par hasard, tandis que M. Temple, dans la chaleur de son émotion et au milieu des regrets qu’il éprouvait, réunissait en quelque sorte sa fille et le jeune inconnu, et pour si longtemps, dans une destinée commune ; et si, malgré la rongeur qui couvrit le visage d’Élisabeth, l’expression de fierté de ses yeux sembla nier qu’il fût possible qu’un étranger, un inconnu, fût admis à faire partie du cercle domestique de sa famille, le sourire dédaigneux de celui-ci parut ne pas admettre la probabilité qu’il y consentît.

Quoique la montagne sur laquelle nos voyageurs étaient encore ne fût pas précisément escarpée, la descente en était assez rapide pour exiger toute l’attention du conducteur sur le chemin, alors fort étroit, qui était bordé d’un côté par des précipices. Le nègre retenait les rênes de ses coursiers impatients, et il donna ainsi à Élisabeth le temps d’examiner une scène que la main de l’homme avait tellement changée en quatre ans qu’à peine reconnaissait-elle les lieux où elle avait passé son enfance. Sur la droite une plaine étroite s’étendait à plusieurs milles vers le nord, ensevelie entre des montagnes de diverses hauteurs, couvertes de pins, de châtaigniers et de bouleaux. Le sombre feuillage des arbres verts faisait contraste avec la blancheur brillante de la plaine, qui offrait partout une nappe de neige où l’œil ne pouvait découvrir aucune tache. Du côté de l’ouest, les montagnes, quoique aussi hautes, étaient moins escarpées ; leurs flancs formaient des terrasses susceptibles de culture, elles étaient séparées par des vallées plus ou moins étendues et de diverses formes. Les pins maintenaient leur suprématie orgueilleuse sur les cimes de ces mon-