Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez avancé en âge, mais si sec et si maigre que son corps semblait avoir été fait pour pouvoir fendre l’air avec le moins de résistance possible. Son teint blême était garanti par une peau si endurcie que l’intensité du froid n’avait pu y appeler aucune couleur. En face de lui était un homme dont il était impossible de deviner la taille et les formes sous la redingote et le manteau fourré qui le couvraient ; mais il avait les yeux animés, le visage plein, la physionomie agréable, et une disposition à sourire qui paraissait imperturbable. Il portait, de même que ses deux compagnons, un bonnet de martre qui lui descendait sur les oreilles. Le quatrième, homme de moyen âge, à visage ovale, n’avait d’autre protection contre le froid qu’un habit noir un peu râpé, et un chapeau si propre, qu’on aurait dit que s’il était usé il le devait en grande partie à l’usage fréquent de la brosse. Il avait un air de mélancolie, mais si légère, qu’on aurait pu être embarrassé pour décider s’il fallait l’attribuer à une douleur physique ou à quelque affection morale. Il était naturellement pâle, mais le froid avait donné à ses joues quelques couleurs qu’on aurait pu prendre pour celles de la fièvre.

Dès que les deux sleighs se furent assez approchés pour qu’on pût s’entendre, le conducteur de celui qui arrivait s’écria :

— Dérangez-vous, roi des Grecs, dérangez-vous donc ; tirez sur le côté, Agamemnon[1] ? ou je ne pourrai jamais passer. — Bonjour, soyez le bienvenu, cousin ’Duke[2], et vous aussi, ma cousine Bess, aux yeux noirs. Tu vois, Marmaduke, que je me suis mis en campagne avec un fort détachement pour venir à votre rencontre et te faire honneur. M. Le Quoi n’est venu qu’avec un chapeau. Le vieux Fritz n’a pas fini sa bouteille ; et M. Grant en est resté à la péroraison du sermon qu’il écrivait. J’ai pris quatre chevaux pour aller plus grand train. En parlant de cela, il faut que je vende ces deux noirs, cousin ’Duke ; ils sont rétifs et ne vont pas bien sous le harnais. Tout autre que moi n’en viendrait pas à bout ; je sais où les placer.

— Vendez tout ce qu’il vous plaira, Dickon, répondit le juge en riant, pourvu que vous me laissiez ma fille et mes terres. Fritz, mon vieil ami, soixante-dix ans qui viennent au-devant de quarante-cinq, c’est vraiment une preuve d’affection. Bien le bon-

  1. Aggy. Agamemnon.
  2. Avréviation de Marmaduke.