Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/53

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à dire qu’il le croyait étranger, et qu’il était monté dans le sleigh au haut de la montagne. Comme c’était un usage assez général dans le comté que ceux qui voyageaient en voiture offrissent une place aux piétons qu’ils rencontraient par un mauvais temps, cette explication lui parut suffisante.

— Au surplus, ajouta-t-il, il a l’air d’un honnête garçon, et si on ne l’a pas déjà gâté par de sots éloges, comme il n’a eu que de bonnes intentions, je ferai attention à lui. Mais que faisait-il sur la route ? Est-ce un colporteur ? se promenait-il ? chassait-il ?

Le pauvre nègre, fort embarrassé, levait et baissait les yeux alternativement et gardait le silence.

— Eh bien ! parleras-tu, moricaud ? Avait-il une balle sur le dos, un bâton à la main ?

— Non, massa Richard, répondit Aggy en hésitant ; lui avoir seulement un fusil.

— Un fusil ! s’écria Richard en remarquant la confusion du nègre ; de par le ciel, c’est donc lui qui a tué le daim ! J’aurais parié que ce n’était pas Marmaduke. Comment cela est-il arrivé, Aggy ? Ah ! cousin ’Duke, nous allons rire à vos dépens ! Eh bien, le jeune homme a tué le daim, et le juge le lui a acheté : n’est-ce pas cela ?

Le plaisir de cette découverte avait mis Richard de si bonne humeur que les craintes du nègre s’évanouirent en partie, et, voulant conserver à Marmaduke une partie de la gloire à laquelle il prétendait, il répondit : — Vous pas faire attention, massa Richard, que le daim avoir été tué de deux coups de feu.

— Point de mensonge, moricaud, s’écria Richard ; mais voici qui te fera dire la vérité ; et prenant son fouet, il le fit claquer vigoureusement, en s’approchant d’Aggy, comme pour lui en caresser les épaules. Le nègre tremblant de peur se jeta à genoux, et lui conta en peu de mots toute l’histoire, en le suppliant de le protéger contre le courroux du juge.

— Ne crains rien, Aggy, ne crains rien, répondit Richard en se frottant les mains ; mais ne dis rien, et laisse-moi le plaisir de bien railler le cousin ’Duke. Comme je vais m’amuser ! Mais partons, et allons grand train ; il faut que j’arrive à temps pour aider le docteur à extraire la balle, car ce Yankie[1] n’entend pas grand--

  1. En Amérique, le terme Yankee est d’une signification locale. On croit qu’il dérive de la manière dont les Indiens de la Nouvelle-Angleterre prononçaient le mot English ou Yengeese. La province de New-York étant d’origine hollandaise, ce terme n’y était pas connu, et plus au nord, différents dialectes parmi les naturels produisirent une prononciation différente. Marmaduke et ses cousins étant Pensylvaniens de naissance, ne sont pas Yankees dans le sens américain de ce mot.