Ruddiman[1], et sous son bras l’Art des accouchements de Denman[2], car son instituteur voulait qu’il apprît l’art de faire entrer les gens dans le monde, avant de l’initier dans celui de les en faire sortir. Il continua ce genre de vie pendant un an, au bout duquel il parut tout à coup dans une assemblée, vêtu d’une redingote noire, avec de petites bottes dont les revers étaient de peau de veau pâle à défaut de maroquin rouge.
Bientôt après, on le vit se raser lui-même avec un rasoir à lame émoussée. Il ne se passa pas trois mois avant qu’on vît plusieurs vieilles matrones courir d’un air pressé les unes à la maison d’une pauvre femme, et les autres d’un autre côté : deux ou trois marmots furent juchés sur des chevaux sans selle et envoyés au galop dans diverses directions ; on demandait le docteur ; mais on ne le trouvait nulle part. Enfin Elnathan partit avec le messager hors d’haleine. Nous ne savons pas si l’art aida la nature dans cette circonstance, ou si ce fut la nature qui vint au secours de l’art ; mais il est certain que le coup d’essai du jeune apprenti, bien loin de coûter la vie à personne, donna un nouveau membre à la société. Cette semaine il acheta un rasoir neuf, et le dimanche d’ensuite il entra à l’église d’un air imposant et un mouchoir de soie rouge à la main. Un mois après il obtint un pareil succès, et pour la première fois de sa vie il reçut le titre de docteur ; ce fut sa mère qui le lui conféra la première, et bientôt chacun prit l’habitude de le saluer du titre de docteur Todd.
Après avoir passé une autre année chez son maître, il se crut en état de voler de ses propres ailes, il partit pour Boston, pour y acheter des médicaments, disaient les uns, pour y travailler dans l’hôpital, disaient les autres ; mais à cet égard, s’il y entra jamais, ce ne fut que pour en traverser les salles, car on le vit, revenir au bout de quinze jours, rapportant seulement une grande boîte qui sentait horriblement le soufre.
Le dimanche suivant il se maria, et dès le lendemain matin on le vit monter avec sa nouvelle épouse dans un sleigh attelé d’un seul cheval, et qui, indépendamment de la grande boîte mentionnée, contenait deux petites malles, un carton et un parapluie en
- ↑ Ce n’est pas un nom fictif, mais celui d’un grammairien écossais qui, dans les écoles anglaises, a un nom aussi populaire que Lhomond en France. Thomas Ruddiman a publié entre autres, the Rudiments of the latin tongue, et les Grammaticœ latinœ institutions. Il était né à Boyndic (Écosse), dans le comte de Banff.
- ↑ Auteur d’un traité des accouchements, traduit en français.