Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/114

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férence qu’il y a entre la cuisine du désert et celle des établissements ? Non, je vois clairement, à votre appétit, que vous ne le savez pas. Eh bien ! je vais vous le dire. L’une suit l’homme, l’autre, la nature ; l’une croit pouvoir ajouter aux dons du Créateur, tandis que l’autre se contente d’en jouir humblement ; voilà tout le secret.

— Écoutez, Trappeur, dit Paul qui était fort peu sensible aux propos de morale dont il plaisait à son compagnon d’assaisonner leur repas, faisons un arrangement : tous les jours, tant que nous serons dans cette plaine, et il est probable qu’il s’en passera plus d’un, je tuerai un buffle, et vous, vous nous ferez cuire sa bosse.

— Je ne puis promettre cela, je ne saurais le promettre. La chair de buffle est bonne, prenez-en telle partie que vous voudrez, et c’est à la nourriture de l’homme qu’elle est destinée ; mais je ne puis promettre de donner les mains à ce qu’il en soit tué un chaque jour. C’est une prodigalité que je ne saurais autoriser.

— Prodigalité ! ne craignez rien, vieillard, il n’y aura rien de perdu. S’ils sont tous aussi bons que celui-ci, je m’engage à bien nettoyer les os… Mais qui vient de ce côté ? C’est du moins quelqu’un qui a le nez bon, à ce que je puis croire, et qui ne s’est pas fourvoyé, s’il suit la piste d’un dîner.

L’individu qui avait interrompu la conversation, et qui avait donné lieu à cette remarque, marchait d’un pas grave en suivant le bord du ruisseau, et il venait droit aux deux gastronomes. Comme il n’y avait rien d’hostile ni de formidable dans son extérieur, le classeur d’abeilles, au lieu de suspendre ses opérations, redoubla au contraire d’activité, comme s’il craignait que la bosse délicieuse ne pût suffire à l’appétit de tous les convives, si un tiers venait mal à propos en augmenter le nombre. Le Trappeur tint une conduite toute différente ; sa faim, plus modérée, était déjà satisfaite, et il regarda le nouvel arrivant avec un air de cordialité qui montrait que pour lui il était le bien-venu.

— Avancez, ami, dit-il en voyant que l’étranger s’arrêtait un instant et semblait hésiter ; avancez, vous dis-je : si la faim est votre guide, elle ne pouvait mieux vous conduire. Voilà de la viande, et ce jeune homme va vous donner du maïs que la cuisson a rendu plus blanc que la neige des montagnes. Approchez sans crainte. Nous ne sommes pas des animaux carnassiers, qui nous mangeons les uns les autres ; nous sommes des chrétiens qui