Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/127

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volontiers votre invitation, car je n’ai rien pris depuis le lever du soleil hier matin, et je connais trop bien le mérite d’une bosse de bison pour refuser une pareille bonne fortune.

— Ah ! vous connaissez déjà ce plat ! eh bien ! en ce cas, vous êtes plus avancé que je ne l’étais tout à l’heure, quoique je pense pouvoir dire qu’à présent nous nous trouvons but à but. Je serais le plus heureux coquin qu’on pût trouver entre le Kentucky et les Montagnes Rocheuses, si j’avais une jolie cabane près de quelque vieux bois rempli d’arbres creux, un pareil plat tous les jours pour mon dîner, une charretée de paille fraîche pour des ruches, et une petite Hél…

— Une petite quoi ? demanda l’étranger qu’amusait évidemment le caractère franc et communicatif du chasseur d’abeilles.

— Quelque chose que j’aurai un jour, et qui ne concerne que moi, répondit Paul en arrangeant la pierre de son fusil, et en commençant très-cavalièrement à siffler un air bien connu sur les eaux du Mississipi.

Pendant cet entretien préliminaire, l’étranger s’était assis en face de la bosse de bison, et en attaquait déjà les restes très-sérieusement. Le docteur Battius suivait de l’œil tous ses mouvements avec une jalousie encore plus frappante que la franchise avec laquelle Paul venait d’accueillir cet inconnu.

Mais les doutes ou plutôt les appréhensions du naturaliste n’avaient rien de commun avec les motifs qui donnaient de la confiance au chasseur d’abeilles. Il avait été frappé d’entendre l’étranger donner à l’animal dont il faisait son repas son nom légitime, au lieu de celui qu’on lui donnait vulgairement dans le pays ; ayant été lui-même un des premiers à profiter de la levée des obstacles que la politique de l’Espagne opposait à quiconque voulait reconnaître ses domaines situés au-delà des mers, soit dans des vues commerciales, soit, comme lui-même, avec des projets scientifiques plus louables, il possédait une dose suffisante de cette philosophie qui est à la portée de tout le monde pour sentir que les mêmes motifs qui avaient eu sur lui une influence assez puissante pour le déterminer à son entreprise, pouvaient avoir produit le même résultat sur l’esprit d’un autre individu brûlant d’une même ardeur pour l’étude de la nature. Il voyait donc la perspective d’une rivalité alarmante qui menaçait, de le dépouiller au moins d’une moitié des justes récompenses de ses travaux, de ses privations et de ses dangers. En envisageant