Son mari ne lui répondit rien, et continua de la conduire vers leur demeure temporaire. En arrivant sur une hauteur d’où l’on pouvait voir pour la dernière fois le lieu de la sépulture d’Asa, tous se retournèrent spontanément comme pour lui faire leurs derniers adieux. L’œil ne pouvait plus distinguer le petit monticule de terre accumulé sur ses restes, mais, spectacle horrible ! la situation en était indiquée par les oiseaux de proie qui volaient tout à l’entour. Du côté opposé, une petite montagne bleuâtre qu’on apercevait au bout de l’horizon faisait reconnaître l’endroit où Esther avait laissé ses plus jeunes enfants, et ce fut un point d’attraction qui diminua la répugnance avec laquelle elle s’éloignait du tombeau de son fils aîné. À cette vue, la nature parla au cœur de la mère, et enfin l’amour pour les vivants l’emporta sur les regrets qu’elle donnait au mort.
Les événements que nous venons de rapporter, frappant inopinément sur le caractère froid et insensible d’une race d’êtres jetés dans un moule grossier et sans instruction, en avaient fait jaillir une étincelle qui servit à entretenir parmi eux le feu presque éteint de l’affection de famille. Étant unis à leurs parents par des liens qui n’avaient d’autre force que celle que leur avait donnée l’habitude, il y avait eu grand danger, comme Ismaël l’avait prévu, que la ruche trop pleine n’essaimât avant peu, et qu’il ne restât chargé de pourvoir aux besoins d’une jeune famille qui ne pouvait lui être d’aucun secours, sans être aidé par les efforts de ceux qui étaient déjà arrivés à l’âge viril. L’esprit d’insubordination qui s’était manifesté dans le malheureux Asa s’était répandu parmi ses jeunes frères, et Ismaël avait été forcé de se rappeler péniblement l’époque où, dans toute la vigueur d’une jeunesse irréfléchie, il avait abandonné son vieux père pour entrer dans le monde, libre de toute entrave. Mais le danger était alors passé, du moins pour un certain temps, et si son autorité n’avait pas recouvré toute son ancienne influence, il était visible qu’elle n’était pas méconnue, et qu’elle pourrait se faire respecter pendant quelque temps encore.
Il est vrai que l’esprit épais de ses enfants, même en cédant à l’impression qu’avait faite sur eux l’événement qui venait d’arriver, avait des lueurs terribles de soupçons sur la manière dont leur frère aîné avait été tué. Il se présentait à l’imagination de deux ou trois des plus âgés, des idées vagues et obscures qui leur peignaient leur père lui-même comme disposé à imiter la