Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/230

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ses trois compagnons se postèrent dans l’endroit qu’ils jugèrent le plus favorable pour pouvoir détourner la tête de la colonne qui s’avançait.

D’après les mouvements incertains d’une cinquantaine ou peut-être d’une centaine de bisons qui marchaient en avant, la direction qu’ils avaient dessein de prendre resta douteuse quelques instants. Mais des mugissements sourds et terribles qui se firent entendre derrière un nuage de poussière qui s’élevait du centre, et auxquels répondirent les cris horribles des vautours qui volaient sur leur tête, semblèrent donner une nouvelle impulsion à leur marche, et en écarter tout symptôme d’indécision. Comme s’ils eussent été enchantés de trouver sur leur route une apparence de forêt, ils se dirigèrent en droite ligne vers le petit bois dont il a été si souvent parlé.

L’apparence du danger prenait réellement alors un caractère capable de mettre à l’épreuve le courage le plus ferme. Les flancs de cette masse serrée et mobile étaient avancés, comme les pointes d’un croissant, de manière à présenter d’abord une ligne concave. Les yeux ardents qu’on voyait briller à travers les longs poils qui couvrent toute la tête des bisons mâles, étaient fixés avec une impatience sauvage sur le petit bois. On aurait dit que chacun de ces animaux voulait devancer son voisin pour gagner ce couvert désiré ; et comme des milliers, placés à l’arrière, pressaient ceux qui étaient en avant, il paraissait y avoir le plus grand danger que les chefs du troupeau ne le conduisissent dans le bois, auquel cas la mort de tous nos fugitifs était certaine. Ceux-ci comprenaient tout le péril de leur position, et les sensations qu’ils éprouvaient variaient selon le caractère personnel de chacun d’eux et les circonstances dans lesquelles il se trouvait.

Middleton hésitait. Quelquefois il était tenté de courir à Inez, de l’entraîner et de la conduire à l’abri de ce péril. Mais, réfléchissant sur l’impossibilité de fuir assez vite pour prévenir l’arrivée de ces animaux sauvages, il préparait ses armes, comme s’il eût voulu faire face à cette multitude innombrable de bisons féroces.

La crainte s’était emparée du docteur Battius, et elle dérangea ses facultés au point de produire en lui la plus forte illusion mentale. Les animaux qui s’approchaient perdirent à ses yeux leur forme distincte, et le naturaliste commença à croire qu’il voyait en eux un rassemblement étrange de toutes les créatures de l’uni-