Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/287

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chinations et les inventions de ceux qui sont venus l’habiter, Dieu seul le sait. J’ai connu, dans ma jeunesse, le chef qui, dans son temps, avait vu le premier chrétien qui plaça son maudit pied sur les côtes d’York. Combien le désert n’a-t-il pas perdu de sa beauté pendant ces deux courtes générations ! Mes yeux s’ouvrirent sur les bords de la mer orientale, et je me souviens fort bien d’avoir essayé la portée du premier fusil que j’aie jamais manié, après avoir fait, depuis la maison de mon père jusqu’à la forêt, une marche telle qu’un jeune gaillard de mon âge pouvait en faire une entre deux soleils, et cela sans blesser les droits et les prétentions de qui que ce fût, qui se prétendit propriétaire des animaux des champs. La nature était alors dans toute sa gloire tout le long des côtes, et accordait à la cupidité des colons une étroite bande de terre entre la mer et les bois. Et où suis-je à présent ? Si j’avais les ailes d’un aigle, elles se fatigueraient avant de m’avoir porté à la dixième partie de l’espace qui me sépare de la mer. Des villes et des villages, des églises et des écoles, des fermes et des grands chemins, en un mot toutes les inventions diaboliques des hommes couvrent tout le pays. J’ai vu le temps où quelques Peaux Rouges, poussant un cri sur la lisière de la forêt, jetaient l’alarme dans la province : les hommes prenaient les armes, on faisait venir des troupes des colonies plus éloignées, on faisait des prières, les femmes étaient saisies de terreur, et peu de personnes dormaient en paix, parce que les Iroquois avaient pris les armes et que les maudits Mingos avaient levé le tomahawk. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Le pays envoie ses navires combattre dans des contrées lointaines ; on y voit plus de canons qu’il ne s’y trouvait autrefois de fusils, et l’on y a des soldats disciplinés par dizaine de milliers à l’instant même où l’on peut en avoir besoin. Telle est la différence entre une province et un État, mes amis ; et tout vieux, tout misérable que je suis, j’ai vécu pour voir ce changement.

— Que vous ayez vu bien des colons écrémer la surface de la terre, et recueillir le miel de la nature, vieux Trappeur, dit Paul, c’est ce dont aucun homme raisonnable ne peut ni ne doit douter. Mais voici Hélène, à qui les Sioux donnent des inquiétudes ; et maintenant que vous nous avec donné franchement votre façon de penser sur tous ces points, si vous vouliez seulement nous indiquer la ligne à suivre, l’essaim prendrait son vol.

— Comment dites-vous ?