Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/357

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venait le réclamer alors, et l’adoption fut écoutée dans un grave et respectueux silence. Le Balafré prit par le bras celui dont il voulait faire son fils, et, l’ayant conduit au milieu même du cercle, il se retira de quelques pas d’un air de triomphe, pour que les spectateurs pussent approuver son choix.

Mahtoree ne laissait percer aucune émotion, mais sa politique astucieuse semblait attendre un moment plus favorable pour l’exécution de ses sombres projets. Les chefs les plus expérimentés et les plus prévoyants sentaient parfaitement qu’il était impossible que deux guerriers aussi célèbres que Cœur-Dur et Mahtoree, qui avaient été si longtemps rivaux de gloire, pussent vivre en paix dans la même tribu ; mais la personne du Balafré inspirait tant de respect, il invoquait une coutume si sacrée, qu’aucun d’eux n’osa élever la voix pour s’opposer à cette mesure. Ils observaient ce qui se passait avec un intérêt croissant, mais ils cachaient la nature de leurs craintes sous un extérieur impassible. La peuplade était dans cet état de gêne et de contrainte, et bientôt même, peut-être, on eût pu ajouter de désorganisation, lorsque celui qui était le plus intéressé au succès de la demande du vieillard le fit cesser tout à coup.

Pendant toute la scène que nous venons de raconter, il eût été difficile d’apercevoir la moindre trace d’émotion sur les traits du jeune captif. Il avait entendu proclamer sa délivrance avec la même indifférence qu’il avait entendu donner l’ordre de l’attacher au poteau ; mais à présent que le moment était venu de faire connaître sa décision, il parla de manière à prouver que le courage qui lui avait acquis un nom si célèbre ne l’avait pas abandonné.

— Mon père est bien vieux ; mais il est des choses qu’il n’a pas encore vues, dit Cœur-Dur d’une voix si sonore qu’elle se fit entendre à tous ceux qui l’entouraient. Il n’a jamais vu un buffle se changer en chauve-souris ; il ne verra jamais un Pawnie devenir Sioux.

Au ton calme, mais énergique, avec lequel il prononça cette décision, il était bien difficile de ne pas être convaincu qu’elle était inébranlable. Cependant le cœur du Balafré se sentit un faible pour le jeune guerrier ; l’affection d’un vieillard ne se laisse pas si aisément rebuter. Jetant un regard sévère sur l’assemblée pour réprimer le cri d’admiration et de triomphe que cette déclaration hardie avait excité en rallumant dans les cœurs l’espoir de la vengeance, le vétéran adressa de nouveau la parole