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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/80

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Hélène écouta alors longtemps dans une attente pénible, mais sans rien entendre que le souffle de l’air du matin qui agitait faiblement l’herbe autour d’elle. Elle allait revenir sur ses pas, douloureusement trompée dans son espoir, lorsque le bruit de pas qui foulaient la Prairie arriva jusqu’à son oreille. Tournant aussitôt la tête de ce côté, elle aperçut dans l’éloignement le profil d’un individu qui montait l’éminence du côté opposé au camp, et qui venait droit à elle comme s’il l’avait reconnue. Ne doutant point que ce ne fût Paul, elle avait déjà prononcé son nom, et elle commençait à parler avec cette vivacité empressée que l’affection d’une femme témoigne en revoyant un ami, lorsque la pauvre fille s’interrompit tout à coup, et, se retirant en arrière, ajouta froidement :

— Ah ! c’est vous, docteur ! je ne m’attendais guère à vous rencontrer à une pareille heure.

— Toutes les heures, toutes les saisons, ma bonne Hélène, conviennent également au véritable amant de la nature, répondit un petit homme un peu sur le retour de l’âge, d’une taille frêle, d’une activité extraordinaire, accoutré d’un mélange bizarre de vêtements de drap et de peaux, et qui s’approcha d’elle avec la familiarité d’une vieille connaissance ; — et celui qui ne sait pas tout ce qu’il y a de choses à contempler avec admiration à la lueur de ce faible crépuscule, ignore une grande partie des jouissances qu’il peut se procurer.

— Il est vrai, dit Hélène, se rappelant tout à coup la nécessité d’expliquer à son tour comment elle se trouvait dehors à une pareille heure : je connais beaucoup de personnes qui pensent que la terre a un aspect plus agréable la nuit que par le soleil le plus éclatant.

— C’est que chez elles l’organe de la vue est trop convexe. Mais l’homme qui veut étudier les habitudes actives de la race féline, ou de la variété Albinos, doit courir les champs à cette heure. Je dirai plus, c’est qu’il y a des hommes qui préfèrent regarder les objets au crépuscule, par la seule raison qu’ils voient mieux à cette époque de la journée[1].

— Et c’est pour cela, sans doute, que vous courez toute la nuit ?

— Je cours la nuit, ma chère enfant, parce que la terre, dans

  1. Le docteur veut parler de l’affection appelée nyctalopie, ou vue de nuit, que les savants allemands appellent aussi une héliophobie (horreur du soleil).