Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/141

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à la manière dont elle venait d’être subitement abandonnée par tous ceux qui avaient paru prendre le plus d’intérêt à son sort ; était-ce un homme qui avait l’air d’un vagabond, d’un fugitif ?

— Je ne puis rendre compte précisément de ce qu’il portait sur la tête, répondit le vieux marin ; mais il avait l’air d’un homme qui a passé une bonne partie de son temps dans les dalots. S’il fallait donner mon opinion, je dirais que le pauvre diable a eu trop…

— Trop de temps dont il ne savait que faire, vous voulez dire, s’écria Désirée. Oui, oui, ç’a été son malheur de n’avoir pas assez d’ouvrage depuis quelque temps, et c’est ce qui lui a fait entrer de mauvaises pensées dans la tête, faute d’avoir à songer à quelque chose de mieux. Oui, vous avez raison, il a eu trop…

— Trop de sa femme, s’écria le vieillard avec emphase. Un rire général aux dépens de Désirée, beaucoup moins équivoque que le premier, suivit ce nouveau sarcasme. Mais, sans se laisser déconcerter par l’approbation universelle donnée à l’opinion du marin caustique, la virago répliqua :

— Ah ! vous ne savez guère combien j’ai eu à souffrir et à patienter avec lui pendant tant d’années. Et le vaurien que vous avez rencontré avait-il l’air d’un homme qui a abandonné une malheureuse femme ?

— Je ne puis dire que j’aie remarqué en lui rien qui dît en tant de mots si la femme qu’il avait laissée à son mouillage était plus ou moins malheureuse, répondit le marin avec beaucoup de discernement ; mais j’en ai vu assez pour prouver qu’en quelque lieu qu’il eût arrimé sa femme, si tant est qu’elle fût sa femme, il n’avait pas jugé à propos de lui laisser son équipement au complet ; car il avait autour du cou des affiquets de femme, qui lui plaisaient sans doute plus que si c’eussent été ses bras.

— Quoi ! s’écria Désirée avec un air de consternation, a-t-il osé me voler ? Que m’a-t-il emporté ? Ce n’est pas mon collier à grains d’or, j’espère ?

— Je n’oserais jurer que ce n’étaient pas des grains d’or faux.

— Le misérable ! s’écria la virago en fureur, reprenant haleine comme une personne qui a été sous l’eau plus long-temps qu’il n’est agréable à la nature humaine, et en se frayant un chemin à travers la foule avec une telle vigueur, qu’elle fut bientôt en état de courir avec rapidité pour aller visiter ses trésors cachés et juger de l’étendue de ses pertes. — Le scélérat ! le sa-