Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/219

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uns les autres avec un air d’étonnement stupide, et ils secouèrent plus d’une fois la tête avec une expression mélancolique avant que l’un d’eux, se jetant dans les agrès, commençât à y monter pour exécuter l’ordre qui, venait d’être donné.

Il y avait certainement dans la manière désespérée avec laquelle Wilder faisait exposer successivement au vent toutes ses voiles de quoi faire naître de la méfiance, soit sur ses intentions, soit sur son jugement, dans l’esprit de gens moins superstitieux que ceux que le hasard voulait qu’il commandât, alors. Depuis long-temps Earing et son camarade, le second lieutenant, plus ignorant, et par conséquent plus entêté, avaient remarqué que leur jeune commandant désirait aussi sincèrement qu’eux-mêmes d’échapper au vaisseau, semblable à un spectre, qui suivait si étrangement tous leurs mouvemens. Ils ne différaient que sur le mode d’agir ; mais cette différence était si matérielle, que les deux lieutenans tinrent conseil à part, et Earing, un peu stimulé par les opinions prononcées de son coadjuteur, s’approcha de son officier supérieur pour lui communiquer le résultat de leurs délibérations avec cette promptitude et cette franchise qu’il croyait que les circonstances exigeaient ; mais il y avait dans l’œil ferme et dans la contenance imposante de Wilder quelque chose qui fit qu’il ne toucha à ce sujet délicat qu’avec une discrétion et des circonlocutions un peu remarquables dans un homme de son caractère ; il attendit plusieurs minutes pour voir quel effet produirait la voile qui venait d’être déployée, avant de pouvoir se résoudre à ouvrir la bouche ; mais une rencontre terrible entre le vaisseau et une vague qui paraissait élever sa crête courroucée à une douzaine de pieds au-dessus de la proue qui s’en approchait, lui donna le courage de parler, en l’avertissant de nouveau du danger d’un silence prolongé.

— Je ne vois pas que nous nous éloignions du navire inconnu, monsieur, quoique le bâtiment roule si pesamment à travers les vagues, dit-il, bien déterminé à n’avancer qu’avec toute la circonspection possible.

Wilder fixa de nouveau ses regards vers le point obscur qui se montrait toujours à l’horizon, et fronçant le sourcil, tourna ensuite les yeux du côté d’où venait le vent, comme s’il eût voulu défier le souffle le plus redoutable ; mais il ne répondit rien.

— Nous avons toujours trouvé que l’équipage n’aimait pas à