Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/320

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— Et n’en avez-vous pas ? M. Wilder ne vous aime-t-il pas ?

— Je ne le connais que peu ; je ne l’avais jamais vu avant…

— Avant ?… continuez Roderick.

— Avant le jour où nous nous sommes rencontrés à Newport.

— À Newport ?

— Vous n’êtes pas sans savoir que nous venons l’un et l’autre de Newport, en dernier lieu.

— Ah ! je vous comprends. Ainsi votre connaissance avec M. Wilder a commencé à Newport ? C’était lorsque votre vaisseau était à l’ancre hors de la portée du fort.

— Oui, je lui portai l’ordre de prendre le commandement du vaisseau marchand de Bristol ; il n’était parmi nous que depuis la veille au soir.

— Pas davantage ! c’était une bien nouvelle connaissance ; mais je présume que votre commandant connaissait son mérite ?

— On l’espère parmi l’équipage ; mais…

— Vous disiez quelque chose, Roderick.

— Personne ici n’ose demander au capitaine ses raisons ; moi-même je suis obligé d’être muet.

— Vous-même ! s’écria Mrs Wyllys avec une surprise qui lui fit oublier un instant la réserve qu’elle s’imposait ; mais l’idée qui absorbait l’enfant parut l’empêcher de remarquer le changement subit qui s’opéra dans les manières de cette dame ; il était si peu à ce qui se passait, que la gouvernante toucha la main de Gertrude et lui fit remarquer l’air d’insensibilité du jeune garçon, sans la moindre crainte que son mouvement fût remarqué.

— Qu’en pensez-vous, Roderick ? ajouta-t-elle ; refuserait-il aussi de nous répondre, à nous ?

L’enfant tressaillit, et lorsque la connaissance sembla lui revenir, ses yeux se portèrent sur la physionomie douce et expressive de Gertrude.

— Bien que cette jeune dame soit d’une rare beauté, répondit-il vivement, qu’elle ne compte pas trop sur son pouvoir ; une femme ne saurait avoir d’empire sur lui.

— A-t-il donc un cœur si dur ? Pensez-vous qu’il refuserait de répondre à une question de cette belle enfant ?

— Écoutez-moi, madame, dit-il avec une vivacité qui n’était pas moins remarquable que le son doux et plaintif de sa voix. J’ai vu plus de choses dans ces deux dernières années, que bien des hommes n’en voient dans tout le cours de leur vie. Ce