Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/344

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— Quel naufrage ? demanda son commandant.

— J’en demande pardon à votre honneur, je ne hisse jamais une voile sans m’être assuré qu’elle est bien en place ; et avant de raconter les détails du naufrage, il faut que je repasse mes idées pour voir si je n’ai rien oublié qui dût régulièrement être mentionné d’abord.

Le Corsaire, qui s’aperçut à l’air d’impatience de la gouvernante combien il lui tardait d’entendre la suite d’un récit qui marchait si lentement, et combien elle redoutait une interruption, lui fit signe de laisser le prolixe matelot raconter à sa manière, seul moyen d’arriver aux faits qu’ils désiraient tant tous deux de connaître. Laissé à lui-même, Fid repassa, comme il l’entendait, les diverses circonstances ; et, ayant heureusement trouvé que rien de ce qu’il considérait comme inhérent à son histoire n’avait été oublié, il passa à la partie la plus intéressante de son récit pour ses auditeurs.

— Or, comme je le disais à votre honneur, continua-t-il, Guinée était alors matelot du grand mât, et moi j’étais posté à la même place abord de la Proserpine, fin voilier qui ne restait jamais en arrière, lorsque nous rencontrâmes un bâtiment contrebandier entre les îles et le continent espagnol. Le capitaine en fit sa prise et y fit passer une partie de l’équipage pour la conduire jusqu’au port, ce qui était conforme à ses instructions, du moins je l’ai toujours supposé, vu que c’était un homme qui avait du sens. Mais que ce soit ceci ou cela, n’importe, attendu que le navire était arrivé au bout de sa corde, et qu’il coula bas dans un ouragan terrible qui éclata, peut-être à deux jours de distance de notre port. C’était un petit bâtiment, voyez-vous ; et comme il lui prit envie de se renverser sur le côté avant d’aller dormir pour l’éternité, le contre-maître et trois autres glissèrent de dessus le pont et s’en allèrent au fond de la mer, comme j’ai toujours eu lieu de le croire, n’ayant jamais entendu dire le contraire. Ce fut dans cette occasion que Guinée me donna pour la première fois un coup de main ; car, bien que nous eussions déjà souvent partagé ensemble la faim et la soif, c’était la première fois qu’il sautait par-dessus le bord pour m’empêcher de boire de l’eau salée comme un poisson.

— Il vous empêcha de vous noyer avec le reste ?

— Je ne dirai pas cela, votre honneur, car qui sait si quelque heureux accident ne m’aurait pas rendu le même service ? Quoi