Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/346

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— Ce n’était pas chose difficile, votre honneur, car tout l’équipage ne se composait que d’un chien affamé. C’était un spectacle imposant lorsque nous arrivâmes sur les ponts, continua Fid d’un air qui devenait de plus en plus sérieux ; un spectacle qui me remue encore le cœur toutes les fois que j’y repense.

— Vous trouvâtes l’équipage en proie à tous les besoins ?

— Nous trouvâmes un noble vaisseau de quatre cents tonneaux, dans l’état le plus déplorable, rempli d’eau, et aussi immobile qu’une église. Cela me fait toujours faire des réflexions, monsieur, quand je vois un beau navire réduit à une pareille détresse ; car on peut le comparer à un homme à qui l’on a coupé ses nageoires, et qui n’est plus bon qu’à mettre sur un bossoir pour voir d’où vient le vent.

— Le vaisseau était donc abandonné ?

— Oui, monsieur ; l’équipage l’avait quitté, ou avait été entraîné dans la tempête qui l’avait fait chavirer. Je n’ai jamais pu savoir au juste la vérité à cet égard. Le chien avait sans doute été méchant sur le pont ; car on l’avait attaché à un piquet ; ce qui lui sauva la vie, puisque, heureusement pour lui, il se trouva du bon côté, lorsque le vaisseau se redressa un peu, après que tous ses agrès furent partis. Or donc, monsieur, il y avait le chien, et pas grand-chose avec, autant que nous pûmes voir, bien que nous passâmes une demi-journée à chercher partout, pour voir si nous ne trouverions pas quelque chose qui pût nous être utile ; mais comme l’entrée du fond de cale et de la cabine était remplie d’eau, nous ne tirâmes pas grand profit de nos recherches après tout.

— Et alors vous quittâtes le bâtiment naufragé ?

— Non, pas encore, votre honneur. Pendant que nous étions occupés à fureter partout à bord, Guinée dit : — Monsieur Dick, j’entends quelqu’un qui plaint en bas. Or notez bien que j’avais entendu les mêmes sons moi-même ; mais je les avais pris pour les gémissemens des âmes de l’équipage, et n’en avais rien dit dans la crainte d’éveiller la superstition du noir ; car ces nègres ne sont tous que des superstitieux, madame ; de sorte que je ne dis rien de ce que j’avais entendu, jusqu’à ce qu’il jugeât à propos d’aborder le sujet lui-même. Alors nous nous mîmes tous deux à écouter, et, à coup sûr, les gémissemens ne tardèrent pas à ressembler à ceux d’un être humain. Quoi qu’il en soit, je fus beaucoup de temps avant de pouvoir distinguer si c’était autre chose que les plaintes de la carcasse elle-même ; car vous savez, ma-