Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/38

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comme j’étais assis, seul, à cette même heure, sur mon établi, réfléchissant à part moi… Par la raison toute simple que mon envieux de voisin avait attiré toutes les pratiques nouvellement arrivées, à sa boutique ; car, monsieur, la tête travaille lorsque les mains restent oisives… J’étais donc assis là, comme je vous l’ai dit brièvement, réfléchissant à part moi, ainsi qu’un être raisonnable, aux calamités de la vie, et à la grande expérience que j’ai acquise dans la guerre ; car il faut que vous sachiez, vaillant gentilhomme, que, sans parler de l’affaire dans le pays des Mèdes et des Perses, et de l’émeute au sujet de Porteous à Édimbourg, j’ai passé par cinq longues et sanglantes…

— Il y a en effet dans votre allure quelque chose de militaire, interrompit l’étranger qui faisait des efforts évidens pour réprimer son impatience toujours croissante, mais comme mon temps est très-précieux, je désirerais plus particulièrement savoir à présent ce que vous avez à dire sur ce vaisseau.

— Oui, monsieur, on prend une allure militaire à force de voir des combats. Or çà, heureusement pour nous deux, me voici arrivé à la partie de mon secret qui regarde plus spécialement ce navire. J’étais assis là, réfléchissant à la manière dont les matelots étrangers avaient été ensorcelés par mon voisin avec son ton mielleux ; car, afin que vous le sachiez, ce Tape parle, parle… Un jeune drôle qui n’a vu qu’une seule guerre tout au plus !… Je réfléchissais donc à la manière dont il m’a dérobé mes pratiques légitimes, lorsque… une idée en amène toujours une autre, — cette conclusion naturelle, — comme dit toutes les semaines notre révérend prêtre dans ses sermons qui sont à fendre le cœur, — se présenta tout à coup à mon esprit : — Si ces marins étaient d’honnêtes et consciencieux négriers, planteraient-ils là un pauvre diable qui à une nombreuse famille, pour aller jeter leur or légitimement gagné à la tête d’un méchant bavard ? Je me fis sur-le-champ la réponse à moi-même ; oui, monsieur, je n’hésitai pas à me la faire, et je me dis que non. Alors j’adressai ouvertement cette question à mon intelligence : S’ils ne sont pas négriers, que sont-ils ? Question que, le roi lui-même en conviendrait dans sa sagesse royale, il était plus facile de faire qu’il ne l’était d’y répondre. À quoi je répondis : — Si le vaisseau n’est ni un franc négrier, ni un des croiseurs ordinaires de sa majesté, il est aussi clair que le jour que ce ne peut être ni plus ni moins que le vaisseau de cet infâme pirate, le Corsaire Rouge.