Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’individu qu’il savait, par sa propre expérience, avoir une longue habitude de la trahison, quittez la barque. — Qu’on n’envoie à sa place le capitaine du gaillard d’avant ; un parleur si hardi, d’ordinaire, doit savoir se taire au besoin.

L’échange fut fait à l’instant, car personne n’avait jamais su résister à un ordre prononcé de ce ton d’autorité. Il resta un moment dans l’attitude d’une profonde réflexion, puis son front s’éclaircit entièrement, et de l’air le plus ouvert et le plus confiant il ajouta :

— Wilder, adieu ! je vous laisse capitaine du vaisseau et maître de mon sort ; je suis sûr que l’un et l’autre ne sauraient être entre de plus dignes mains.

Sans attendre de réponse, comme s’il méprisait de vaines protestations, il descendit légèrement dans la barque, qui, l’instant d’après, se dirigea hardiment vers le vaisseau ennemi. Le court intervalle qui s’écoula entre le départ des aventuriers et leur arrivée à l’autre navire, fut un moment d’attente profonde et pénible pour tous ceux qu’ils avaient laissés derrière eux. Celui qui hasardait le plus dans cette entreprise était le seul dont les regards et les gestes n’annonçaient rien de l’anxiété à laquelle ses compagnons étaient si évidemment en proie. Il monta à bord au milieu des honneurs dus à son rang imaginaire, avec une grâce et une aisance qui ne pouvaient manquer de faire illusion. L’accueil qu’il reçut du vieux et brave marin dont les longs et pénibles services n’avaient été que maigrement récompensés par le commandement du vaisseau qu’on lui avait donné, fut franc et cordial ; et après les félicitations d’usage, il conduisit son hôte dans ses appartements.

— Prenez le siège qui vous conviendra, capitaine Howard, dit le vieux marin en s’asseyant sans cérémonie et en invitant son compagnon à suivre son exemple. Un homme d’un mérite aussi extraordinaire ne doit pas aimer à perdre le temps en paroles inutiles, quoique vous soyez bien jeune, bien jeune assurément pour le commandement honorable que vous devez à votre heureuse étoile !

— Bien jeune ! je vous assure au contraire que je me crois du temps du déluge, répondit le Corsaire en se plaçant tranquillement à l’autre bout de la table, d’où il pouvait regarder en face la figure peu satisfaite de son compagnon. Le croiriez-vous, mon-