Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/419

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tère terrible, ou vous n’essaieriez pas d’arrêter un torrent. — Allons, allons, parlez-lui !

— Voyez ! son œil commence déjà à devenir plus doux.

— C’est de pitié de voir comme ta raison s’égare, Roderick.

— Si elle ne s’était jamais égarée plus qu’en ce moment, Walter, il ne faudrait pas un tiers pour parler entre vous et moi ; vous feriez plus d’attention à mes paroles, et ma voix serait assez forte pour se faire entendre. — Pourquoi êtes-vous muet, monsieur Wilder ? Un seul mot heureux pourrait le sauver en ce moment.

— Wilder, cet enfant s’est laissé effrayer par le nombre de vos canons et de votre équipage ; il craint le courroux de votre maître royal. Donnez-lui une place dans votre chaloupe, et recommandez-le à la merci de votre capitaine.

— Non, s’écria Roderick, je ne vous quitterai pas ; je ne veux ni ne puis vous quitter. Que me reste-t-il en ce monde, si ce n’est vous ?

— Oui, continua le Corsaire dont l’air de calme forcé avait fait place à une expression de mélancolie et de réflexion profonde ; ce sera le meilleur parti. Prenez ce sac d’or, Wilder, et recommandez ce jeune homme aux soins de cette femme admirable qui veille déjà sur un être à peine moins faible, quoique peut-être moins…

— Coupable, s’écria Roderick ; prononcez ce mot hardiment, Walter ; je sais que j’ai mérité cette épithète, et je saurai l’entendre. — Voyez, ajouta-t-il en prenant le sac pesant qui avait été placé devant Wilder, et en le levant au-dessus de sa tête avec un air de dédain, je puis jeter cet or avec mépris, mais le lien qui m’attache à vous ne sera jamais rompu.

En parlant ainsi, Roderick s’approcha d’une fenêtre de la cabine qui était ouverte ; on entendit le bruit d’un corps pesant tombant dans la mer, et un trésor assez considérable pour satisfaire des désirs modérés fut à jamais perdu pour les êtres qui lui avaient assigné sa valeur. Le lieutenant du Dard se tourna à la hâte vers le Corsaire pour tâcher de désarmer sa colère, mais il ne vit sur les traits de ce chef de pirates aucune autre émotion que celle d’une pitié qui se laissait apercevoir à travers un sourire calme et imperturbable.

— Roderick serait un trésorier peu sûr, dit-il ; cependant il n’est pas trop tard pour le rendre à ses amis. La perte de l’or peut